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dut évidemment à la lutte engagée entre la royauté et les parlemens. Le barreau formait autant de compagnies dans les principaux sièges de justice ; c’était un appoint que, des deux côtés, chacun avait intérêt à ménager. Le barreau s’associa cependant fort peu à ces luttes, et, chose assez bizarre, il eut plutôt à se défendre contre l’autorité dominatrice des parlemens que contre la toute-puissance de la royauté. Lorsque la querelle va trop loin, c’est le gouvernement qui intervient pour apaiser les esprits, et il est rare qu’il ne saisisse pas cette occasion pour parler assez haut aux compagnies judiciaires. En 1704, le barreau du parlement d’Aix, blessé dans sa dignité, refusait de se rendre aux audiences. M. le chancelier de Pontchartrain engage le parlement à mettre fin à cette brouille et à ramener le barreau « par quelques marques de bienveillance envers un ordre qui mérite de la considération par lui-même. » Le barreau revient en effet aux audiences, mais le président du parlement s’avise de dire que les choses n’en allaient pas plus mal sans les avocats ; il reçoit alors du chancelier cette verte réponse : « Je vous félicite sur l’heureux succès des vues que vous avez eues concernant les avocats ; mais, si j’ai de la joie qu’ils aient repris l’exercice de leurs fonctions, c’est beaucoup plus pour le bien de la justice que pour toute autre raison, car, quelque chose que vous disiez, je ne puis être de votre avis sur l’inutilité des avocats, dont le ministère a toujours été considéré comme nécessaire et indispensable pour l’administration de la justice, et a été déclaré tel par les ordonnances. Je vous avoue que je suis surpris que vous pensiez et que vous parliez autrement, surtout dans la place que vous occupez, et que vous vouliez me persuader que, pendant qu’ils ont cessé de faire leurs fonctions, la justice n’a pas été administrée dans votre compagnie avec moins de décence et de dignité. » Grâce à cet antagonisme, le barreau put échapper à l’oppression générale ; il resta libre, mais avec une influence restreinte par l’organisation de la justice criminelle et la constitution politique de l’état. Il plaida les causes civiles, et rien de plus ; Antoine Lemaistre, Cochin et Gerbier, qui personnifient le barreau des XVIIe et XVIIIe siècles, n’en plaidèrent pas d’autres. Les causes criminelles et politiques étaient réservées au barreau moderne.

Placée en face des anciennes institutions, Terreur de l’assemblée constituante fut de confondre l’ordre des avocats avec les compagnies judiciaires et les corporations, dont la suppression était nécessaire. En abolissant les corporations d’arts et métiers, elle avait indubitablement affranchi le commerce et l’industrie ; en abolissant l’ordre des avocats, elle raya de son code le droit de la défense. Était-ce là ce que voulait l’assemblée constituante ? En aucune