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NÉSIOTÈS.

Les dieux nous le prouveront un jour en nous accablant de leur colère. Qu’ont-ils besoin d’être embellis ? N’est-ce pas une impiété que de les faire à l’image des athlètes et des courtisanes ? Nos pères adoraient en tremblant les pierres tombées du ciel ou les statues copiées par Endœus : moins elles ressemblaient à l’homme, plus elles leur paraissaient divines. La simplicité des formes, la raideur des gestes, les draperies collées au corps, le visage souriant, les couleurs symboliques, ajoutaient encore au respect. Changer les formes consacrées par la religion, c’est détruire la religion elle-même.

ALCAMÈNE.

Je crois entendre les ennemis de Phidias.

NÉSIOTÈS.

Tu entends la vérité.

CRITIOS.

Il serait plus prudent de la taire, Nésiotès.

NÉSIOTÈS.

Pourquoi craindrais-je ? Je suis entouré d’oreilles sûres.

ALCAMÈNE.

Ta sûreté, c’est la magnanimité de Phidias. Plus tu lui feras de mal, plus il voudra te bien traiter.

NÉSIOTÈS.

Bientôt, s’il plaît aux dieux, je cesserai de mettre sa clémence à l’épreuve.

ALCAMÈNE.

Quoi ! tu voteras contre Périclès ?

NÉSIOTÈS.

Tu es prompt à me deviner, Alcamène. Nos pensées suivent-elles donc le même sentier ?

ALCAMÈNE, après une courte hésitation.

Mais c’est à Périclès que nous devons nos travaux.

NÉSIOTÈS.

J’ai vendu ma main, je n’ai vendu ni ma langue ni mon suffrage. D’ailleurs le peuple seul donne les travaux, puisqu’il les paie.

CRITIOS.

Nésiotès a raison.

NÉSIOTÈS.

Oui, j’ai raison. Alcamène se gardera de le nier, quoiqu’il soit aussi rusé qu’Ulysse. D’ailleurs, mes bons amis, nous nous connaissons depuis longtemps. Ce que je ferai, vous le ferez vous-mêmes. J’annonce mon vote, et vous cachez le vôtre : c’est toute la différence.

SCÈNE VIII.
(Dans le second atelier.)
MYS, COLOTÈS, MÉNON, DIVERS OUVRIERS qui travaillent l’or et l’ivoire.
MYS.

Je n’ai jamais vu d’aussi grosses défenses d’éléphant.

COLOTÈS.

Calliclès, fils de Clinias, les a rapportées de Sidon, où il a un comptoir.