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saine et lisse, mais bientôt elle s’épaississait de nouveau et reprenait son étrange enveloppe[1]. Baker revit Edward Lambert à l’âge de cinquante ans. — C’était un homme à teint fleuri, très gai, très bien portant. Le médecin en conclut qu’il pourrait bien donner naissance à une race. En effet, Lambert s’était marié. Il eut six enfans, qui, tous à la même époque que leur père, commencèrent à montrer et (acquirent peu à peu les mêmes particularités que lui. Cinq de ces enfans moururent. Le survivant se maria aussi et eut six filles et deux fils, John et Richard. On manque de renseignemens sur les filles, mais les deux enfans mâles examinés en 1802 par Tilesius lui montrèrent la carapace dont ils avaient hérité. Malheureusement, à partir de cette époque, on perd de vue cette famille d’hommes porcs-épics, et on ne sait jusqu’à quelle génération aura persisté l’étrange caractère apparu d’abord chez Edward.

La famille de Colburn, le célèbre calculateur dont Carlisle nous a conservé la généalogie, présente un exemple non moins remarquable de transmission héréditaire. Cette fois il s’agit d’une difformité classée avec raison par M. Isidore Geoffroy parmi les monstruosités légères ou hémitéries. L’aïeule de Colburn avait six doigts à chaque main et six orteils à chaque pied. Elle épousa un homme qui n’avait rien d’extraordinaire. Trois enfans naquirent de ce mariage, et deux reproduisirent l’anomalie de leur mère. à la troisième génération, quatre enfans sur cinq eurent des doigts surnuméraires ; à la quatrième, sur huit enfans, quatre présentaient encore ce caractère. — Burdach et Prosper Lucas citent d’après le docteur van Derbach un cas plus frappant peut-être. Il s’agit d’une famille espagnole du village de San-Martine. Ici la polydactylie se compliquait d’une sorte de palmure qui réunissait l’un à l’autre deux ou trois doigts de chaque main. Van Derbach compta quarante individus présentant tous à des degrés divers cette double anomalie, et qui, sous le rapport de la santé, ne différaient en rien de leurs voisins conformés comme à l’ordinaire.

Il est impossible de ne pas être frappé de la force d’hérédité manifestée dans les exemples que nous venons de citer. Il est impossible de ne pas conclure que si on avait opéré sur les Lambert et les Colburn comme on l’a fait sur le premier ancon, sur le premier mauchamp, si on n’avait marié entre eux que des individus présentant le caractère exceptionnel, on eût formé une race humaine à carapace caduque, une autre race sexdigitaire. Qu’eût-il même fallu pour produire cette race ? Un simple accident de naufrage qui aurait enfermé dans quelque île déserte les représentons de ces familles

  1. A elle seule, cette circonstance suffirait pour montrer combien on a eu raison de retirer les faits de cette nature de la classe des ichthyoses, maladies parmi lesquelles Alibert et quelques autres médecins ont voulu les placer.