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à tour de décrire. Il change de langage et pour ainsi dire de procédé avec chacune des parties de son sujet. Ainsi, lorsqu’il arrive aux phoques, ceux de tous les animaux qui se rapprochent le plus de notre vie terrestre, il emploie pour parler d’eux une méthode presque humaine et historique. Il raconte simplement leurs mœurs, comme un voyageur d’autrefois, avant les préoccupations pittoresques et ethnographiques, aurait raconté les coutumes des Lapons ou des Samoïèdes. Ce n’est plus une description exubérante de couleurs, c’est une relation simple, précise, presque naïve : « La terre est leur patrie de cœur ; ils y naissent, ils y aiment ; blessés, ils y viennent mourir. Ils y mènent leurs femelles enceintes, les couchent sur les algues et les nourrissent de poisson. Ils sont doux, bons voisins, et se nourrissent l’un l’autre. Seulement, au temps d’amour, ils délirent et se battent. Chacun a trois ou quatre épouses, qu’il établit à terre sur un rocher mousseux d’étendue suffisante. C’est son quartier à lui, et il ne souffre pas qu’on empiète, fait respecter son droit d’occupation. Les femelles sont douces et sans défense. Si on leur fait du mal, elles pleurent, s’agitent douloureusement avec des regards de désespoir. Elles portent neuf mois, et élèvent l’enfant cinq ou six mois, lui enseignant à nager, à pêcher, à choisir les bons alimens… » Tout à côté de cette page historique, nous avons un passage sur les amours de la baleine, d’une éloquence bizarre et énorme comme l’animal qu’elle célèbre, remarquable par son étrangeté et à cause de cette étrangeté même, qui est en parfait rapport avec le sujet. « Ainsi que le noble éléphant, qui craint les yeux profanes, la baleine n’aime qu’au désert. Le rendez-vous est vers les pôles, aux anses solitaires du Groenland, aux brouillards de Behring, sans doute aussi dans la mer tiède qu’on a trouvée près du pôle même. La retrouvera-t-on ? On n’y va qu’à travers les défilés horribles que la glace ouvre, ferme et change à chaque hiver, comme pour empêcher qu’on la retrouve… La solitude est grande ; c’est un théâtre étrange de mort et de silence pour cette fête de l’ardente vie. Un ours blanc, un phoque, un renard bleu peut-être, témoins respectueux, prudens, observent à distance. Les lustres et girandoles, les miroirs fantastiques ne manquent pas… » Mais vous lirez tout entière la description de ces monstrueuses amours, que je ne puis citer, et qui se termine par ce trait, digne épilogue d’une telle scène : « Ils retombaient d’un poids immense… L’ours et l’homme fuyaient épouvantés de leurs soupirs. » Je n’ajouterai qu’un mot, pour faire remarquer à ceux que tourmenteraient plus qu’il ne faut certaines répugnances académiques, et qui porteraient leurs réminiscences d’art classique jusque dans les descriptions des amours des baleines, que nous