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d’exprimer tout ce qu’il avait senti, vu ou rêvé, et il a écrit ces livres à moitié descriptifs et scientifiques, à moitié intimes et poétiques. l’Oiseau, l’Insecte, la Mer, Nous voudrions que nos jeunes contemporains entendissent le conseil indirect que leur donne l’auteur de ces livres, qu’ils apprissent ainsi à respecter leur originalité, qu’ils eussent assez d’orgueil pour ne pas marcher dans les voies battues par tout le monde, et s’interrogeassent longtemps avant de consentir à gaspiller un talent quelquefois réel dans un genre qui n’est pas fait pour eux.

Ces fantaisies enfin sont un vrai service rendu à la cause des études sérieuses. Qui sait si quelque esprit oisif, en peine de lui-même, ne sachant quel emploi faire de ses facultés et de. ses loisirs, n’a pas cherché dans la science, à la suite de cette lecture, une distraction sévère et un noble amusement qui tournera au profit de tous ? Qui sait si quelque jeune âme, malade d’un insurmontable dégoût pour des études antipathiques à sa nature, n’aura pas trouvé dans ces livres la révélation de sa véritable vocation ? Mais en admettant qu’ils n’aient ni révélé une seule vocation, ni métamorphosé une seule existence, qui sait le nombre des intelligences qui, amorcées par l’attrait de la poésie, auront été entraînées à faire une excursion dans les régions du vrai, ou qui, voulant contrôler les opinions de l’auteur, auront poussé quelques pointes dans des études qui leur étaient inconnues ? Les fantaisies de M. Michelet auraient rendu de vrais services, n’eussent-elles eu d’autres résultats que de donner à un certain nombre de personnes le désir, d’étudier des ouvrages qu’elles n’auraient jamais lus sans lui, les livres d’Audubon sur les oiseaux, d’Huber et de Réaumur sur les insectes, du lieutenant Maury sur la géographie de la mer.

Que les savans ne rient pas trop de la poésie de M. Michelet. La science est austère, et l’esprit humain est beaucoup plus frivole encore qu’on ne le croit communément. Dieu sait combien il faut dépenser de temps et d’efforts pour le pénétrer d’une vérité et l’amener à reconnaître l’existence d’un fait. Ce qui est depuis des siècles un lieu commun pour les savans est encore un paradoxe pour le public. Une idée, avant d’être comprise, a besoin d’être présentée sous les formes les plus diverses et d’être soumise aux applications les plus variées. L’esprit humain détourne la tête devant la vérité plus volontiers qu’on ne le pense, et, en dépit de nos lumières, il a conservé pour les ténèbres un penchant vraiment comparable au penchant qui entraînait les anciens Israélites vers l’idolâtrie dès qu’ils ne sentaient plus la main de Dieu appesantie sur eux. Ajoutez que cet entêtement rétif, cette obstination contre la vérité, loin d’être affaiblis par la civilisation, sont au contraire fortifiés par elle. Cet entêtement n’est qu’à l’état simple et rudimentaire chez le barbare