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LA
FAUVETTE BLEUE
RECIT DES BORDS DE LA LOIRE

I. — LA PIERRE-BECHERELLE

Un peu au-dessous du confluent de la Maine et de la Loire, sur la rive droite de ce fleuve, on voyait se dresser, il y a peu d’années encore, un rocher à pic, d’un aspect pittoresque : on le nommait la Pierre-Bécherelle. Les chemins de fer sont venus ; la Pierre-Bécherelle se trouvant devant eux, ils ont jeté bas le rocher qui lui servait de base et lui ont passé sur le corps. Il ne reste plus qu’une pointe écornée, que l’on prendrait de loin pour un menhir. Ces voies ferrées en ont fait bien d’autres !… Combien de collines éventrées, d’horizons masqués, de paysages balafrés, sans parler des jardins gracieux détruits pour toujours, sans compter les parcs mystérieux coupés en deux morceaux, et dont les allées, pareilles aux tronçons du serpent, cherchent vainement à se rejoindre ! Mais tout est au mieux dans le meilleur des mondes ; la locomotive siffle et se rit de vos regrets, le train vole sur les rails, et la vapeur triomphe. C’est égal, la Pierre-Bécherelle méritait un autre sort. Située au point où la Loire, enrichie par tous ses gros affluens, se développe dans sa plus grande largeur, ce rocher, facilement abordable du côté de la terre, formait comme un observatoire du haut duquel tout homme épris des beautés de la nature, peintre, poète ou rêveur, pouvait contempler à l’aise le magnifique panorama d’un fleuve de premier ordre roulant à travers des îles verdoyantes et des grèves jaunes ses flots majestueux. Chère aux éperviers, qui aimaient à nicher dans les trous de la roche tapissée de lierre jusqu’à sa cime, la Pierre-Bécherelle servit parfois de station aux aigles