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et ne connaît que les égaremens de l’imagination… Le seul chapitre de l’Esprit de Parti est intéressant, parce qu’ayant vécu au milieu des intrigues de la révolution, elle en connaît tous les dédales. Ce livre est un de ceux qui tomberont comme tant d’autres qui sont nés pendant les troubles du moment et finissent avec eux. » Il est difficile assurément d’exprimer un jugement plus inique. Que d’erreurs ! que d’injustices ! Se peut-il que l’introduction surtout n’ait pas éclairé la comtesse et son ami sur le vrai caractère de ce livre et sur la mission de la France ? Mme de Staël, on peut le dire, était un représentant fidèle de notre génie, lorsqu’elle s’écriait éloquemment en 1796 : « Honte à moi, si durant le cours de deux épouvantables années, si pendant le règne de la terreur en France j’avais été capable d’un tel travail, si j’avais pu concevoir un plan, préparer un résultat à l’effroyable mélange de toutes les atrocités humaines ! La génération qui nous suivra examinera peut-être la cause et l’influence de ces deux années ; mais nous, les contemporains, les compatriotes des victimes immolées dans ces jours de sang, avons-nous pu conserver alors le don de généraliser les idées, de méditer des abstractions, de nous séparer un moment de nos impressions pour les analyser ? Non, aujourd’hui même encore, le raisonnement ne saurait approcher de ce temps incommensurable. Juger ces événemens, de quelques noms qu’on les désigne, c’est les faire rentrer dans l’ordre des idées existantes, des idées pour lesquelles il y avait déjà des expressions. À cette affreuse image, tous les mouvemens de l’âme se renouvellent, on frissonne, on s’enflamme, on veut combattre, on souhaite de mourir ; mais la pensée ne peut se saisir encore d’aucun de ces souvenirs, les sensations qu’ils font naître absorbent toute autre faculté. C’est donc en écartant cette époque monstrueuse, c’est à l’aide des autres événemens principaux de la révolution de France et de l’histoire de tous les peuples que j’essaierai de réunir des observations impartiales sur les gouvernemens, et si ces réflexions me conduisent à l’admission des premiers principes sur lesquels se fonde la constitution républicaine de la France, je demande que, même au milieu des fureurs de l’esprit de parti qui déchirent la France, et par elle le reste du monde, il soit possible de concevoir que l’enthousiasme de quelques idées n’exclut pas le mépris profond pour certains hommes, et que l’espoir de l’avenir se concilie avec l’exécration du passé. » Voilà le vrai point de vue, celui où devaient se placer les esprits élevés et les cœurs généreux au lendemain de la convention ; ce sont là certes d’autres paroles que les invectives du Misogallo et de la Vita d’Alfieri. Que la comtesse d’Albany, avec ses sentimens aristocratiques, n’admette pas ces idées, rien de plus naturel ; qu’elle n’en sente