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habitudes nationales ne nous permettraient pas d’imiter complètement ces. institutions toutes britanniques, il est toujours bon de les bien connaître pour y puiser au moins des enseignemens de détail.

Une autre galerie comprend des notices biographiques, accompagnées de portraits, sur les principaux agriculteurs vivans de l’Angleterre. Le premier est M. Jonas Webb, le célèbre fermier de Babraham, l’heureux lauréat de tous les concours pour la race des moutons south-down, qu’il a poussée à une perfection sans égale. Apres lui vient M. Fisher Hobbs, le non moins célèbre cultivateur du comté d’Essex, à qui l’on doit cette petite race noire de porcs, la plus accomplie peut-être qui existe. Le troisième est M. Mechi, le riche coutelier de la Cité, qui a fondé au milieu d’une bruyère déserte la ferme de Triptree-Hall, maintenant connue dans les deux mondes. Le quatrième est M. John Hudson, de Castle-Acre, surnommé le roi des fermiers, dont la splendide habitation rivalise presque avec le château de son opulent propriétaire, lord Leicester. Le cinquième enfin n’est rien moins que son altesse royale le prince Albert en personne, et ce n’est point par une vaine flatterie que le mari de la reine d’Angleterre est placé ainsi à côté des premiers cultivateurs praticiens. Le prince Albert est un fermier, un véritable fermier ; il a pris à bail 1,500 hectares situés autour du château royal de Windsor, et il paie au domaine de la couronne le prix annuel qu’on exigerait de tout autre exploitant. Son administration se distingue par la sagesse et l’économie ; la liste civile, fort modeste en Angleterre, ne permettrait pas d’excentricités dispendieuses, que l’opinion publique verrait d’ailleurs avec sévérité. Les nouveaux bâtimens d’exploitation, exécutés sous les yeux et sur les plans du prince, présentent un véritable modèle de construction rurale. La reine, qui partage les goûts de son mari, visite souvent avec lui les étables, et plus d’une vache, appelée par son nom, est accoutumée à recevoir les caresses de la main royale.

Ces détails personnels jettent un vif intérêt sur la publication de M. de La Tréhonnais, mais ils n’en forment que l’accessoire. Le sujet principal est la description des procédés mis en œuvre par les cultivateurs anglais pour accroître encore la richesse agricole déjà si grande de leur pays. C’est là surtout que nos propriétaires et nos cultivateurs peuvent trouver, sinon des modèles à suivre absolument, au moins des sujets d’étude, de réflexion et de discussion. N’ayant pas fait moi-même, depuis plusieurs années, de nouveau voyage en Angleterre, je ne puis ni garantir ni contester l’exactitude de tous les détails ; mais l’effet d’ensemble me paraît vrai. Peut-être M. de La Tréhonnais se laisse-t-il quelquefois entraîner par sa passion pour tout ce qui est nouveau, ingénieux et hardi ; il ne faut pas oublier que ce défaut, si c’en est un, est précisément ce qui le soutient dans l’œuvre laborieuse qu’il a entreprise : on ne fait rien sans un peu d’illusion. Je ne voudrais pas répondre, par exemple, que la culture à la vapeur joue tout à fait dès à présent un aussi grand rôle qu’on pourrait le croire d’après la place qu’il lui donne ; ce qui est certain, c’est que les appareils agricoles à vapeur se perfectionnent et se multiplient, et que l’indomptable persévérance de la race anglo-saxonne permet d’entrevoir, un succès prochain. Dans quelles limites se renfermera ce succès ? Il serait imprudent de le dire d’avance. Les inventions les plus étranges, les plus impossibles, y auront