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REVUE. — CHRONIQUE.

donner ses défaillances par beaucoup de sentiment. Elle a été intéressante dans la première partie du grand finale du premier acte, si plein de terreur dramatique et pourtant si musical, ô M. Richard Wagner, qui nous en contez de belles dans l’incroyable préface du livre que vous venez de publier ! Mme Alboni, qui est un Arsace un peu trop élégiaque, a chanté le fameux duo du second acte avec une rare perfection. Et l’air d’Assur, le trio et la scène finale, quelle profondeur d’accent, quels détails dans l’instrumentation, quelle musique adorable, suivant les péripéties de la passion sans jamais oublier que la poésie est l’essence de son langage ! Disons-le sans hésiter, la Sémiramis qu’on exécute à l’Opéra, malgré la pompe du spectacle, malgré les deux sœurs Marchisio, malgré la puissance des chœurs et de l’orchestre, est à la vraie Semiramide, qu’on chante au Théâtre-Italien, ce que peut être la meilleure traduction au texte original d’un beau poème.

Un amateur, un homme de goût, un quasi-artiste qui a longtemps hésité entre un certain monde littéraire où son esprit s’est développé et le monde purement musical, où il n’est entré que timidement, M. de Vaucorbeil, a publié un recueil de mélodies qui se font plus remarquer par la distinction de l’idée poétique qui a préoccupé l’auteur que par la franchise et la nouveauté de la phrase musicale. La première fois que j’ai eu l’occasion d’entendre dans un salon quelques compositions légères de M. de Vaucorbeil chantées par M. Roger, je fus frappé de cette disparate entre la conception, qui est parfois élevée, comme les Chèvres d’Argos par exemple, et la réalisation, qui est maigre et frappée d’un caractère de préciosité qui accuse plus le littérateur que le musicien. M. de Vaucorbeil sait pourtant la musique, il aime et sait apprécier les vrais chefs-d’œuvre, et son goût épuré ne se laisse pas facilement surprendre par les théories fallacieuses. Cependant ses compositions manquent de vie et n’ont pas cet air de santé qui plaît à tous : elles ne peuvent être chantées avec succès que devant un public restreint et composite, devant des femmes, des lettrés, des peintres et des artistes en général, qui se complaisent dans les ingéniosités de l’esprit et dans la casuistique des cœurs incompris. M. de Vaucorbeil sera peut-être étonné que je lui dise que, toute proportion gardée, il est sujet au même genre d’illusion que M. Berlioz. Il croit avoir mis dans son œuvre une pensée qui hante son imagination délicate, mais qui ne se révèle que d’une manière incomplète et sous une forme qui trahit moins le musicien que le poète. M. de Vaucorbeil est trop jeune et trop éclairé pour ne pas répondre un jour victorieusement à nos scrupules.

La musique religieuse, l’expression de ce sentiment profond, mais indéfini, qu’éprouve l’âme en se recueillant, en s’inclinant devant la grande idée de Dieu, qui renferme tant de mystères, préoccupe et a toujours préoccupé un grand nombre d’esprits distingués. De tous les genres de musique, la musique religieuse est celui qui, en France, est dans l’état le plus déplorable. Un congrès s’est formé à Paris pour aviser aux moyens de relever l’art religieux, et pour s’entendre sur ce qu’il y aurait à faire pour restaurer cette chimère qu’on appelle le chant grégorien et pour donner au culte catholique la forme musicale qui convient à son esprit. Nous suivrons les