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c’est ainsi qu’il a suggéré à l’un de ses disciples, Tremblay, la découverte capitale des polypes. Cette même puissance de divination se montre dans sa géologie, qu’un savant distingué vient de remettre en lumière[1]. Leibnitz est un des premiers qui aient refusé de voir dans les empreintes organiques des hautes montagnes des jeux de la nature ou des effets du hasard; il explique ces phénomènes et beaucoup d’autres par l’action naturelle et combinée de l’eau et du feu, et, toujours guidé par ses vues métaphysiques, il montre du doigt à Cuvier et à Blainville la place des espèces perdues. Mais arrivons à la plus belle de ses découvertes scientifiques, celle du calcul infinitésimal ; je demande s’il ne revenait pas de droit à Leibnitz, ce procédé merveilleux qui a soumis l’infini au calcul? Leibnitz est le grand théoricien de l’infini. Il a passé sa vie à réfléchir sur toutes les formes que l’infini peut revêtir, soit dans la nature, soit dans les combinaisons de l’esprit humain. Aussi les nouvelles publications tendent à établir de plus en plus que Leibnitz n’a rien emprunté à Newton. Il semble même que dans l’ordre du temps il ait devancé son rival illustre; mais sans faire de conjectures prématurées, ce qui prouve avant tout son droit d’inventeur, c’est la forme même de sa découverte, forme si importante en mathématiques, où la langue est la moitié de la science. Or Euler et Lagrange, Laplace et Poisson, et après eux leur digne interprète, M. Biot, ont expressément reconnu que la supériorité du calcul de Leibnitz et son originalité même tiennent à sa forme, entièrement dégagée de l’idée de mouvement, plus métaphysique par conséquent, et par là plus simple et plus féconde[2].

Entre la monade leibnitzienne et l’infiniment petit mathématique, est-il possible de méconnaître l’analogie? Leibnitz lui-même se plaît à la signaler, tout en ayant soin de nous montrer la différence, que certains de nos contemporains ont méconnue. Décomposer les élémens finis de la grandeur en élémens infiniment petits, puis recomposer la grandeur et la rétablir dans son unité, ce procédé, qui est celui du calcul différentiel et intégral, est-il autre chose qu’un cas particulier du procédé général de Leibnitz en métaphysique? Leibnitz contemple l’ensemble des phénomènes du Cosmos, et partout il trouve des composés. Or le composé suppose le simple. Il faut donc, pour atteindre les véritables élémens de l’existence, pousser jusqu’à l’infini et concevoir des unités indivisibles; ce sont les forces élémentaires. C’est à l’aide de ces forces, en les concevant infinies en

  1. Protogée, traduite par le docteur Bertrand de Saint-Germain, avec une introduction remarquable par la sobriété d’une érudition étendue et par une netteté et une précision toutes philosophiques.
  2. Voir les derniers articles de M. Biot sur Newton dans le Journal des Savans.