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d’un sarrau de toile blanche et chaussé de vieilles guêtres de cuir bouclées au-dessus d’un pantalon de velours, parut dans le sentier qui conduisait à La Grisolle. Un chien rouge à poils touffus marchait sur ses talons. Jamais bûcheron ou laboureur ne foula l’herbe d’un pas plus élastique. La Javiole, qui le guettait, l’admirait, et ne se pressait pas de se lever. — Le beau brin de mari que ça ferait tout de même ! dit-elle tout bas.

L’œil du braconnier l’eut bientôt découverte derrière le buisson où elle était assise. — Çà, que me veux-tu ? dit-il en battant son briquet pour allumer sa pipe.

La Javiole n’était pas d’un caractère à prendre des détours ou à ruser. Prenant donc la main de Francion dans la sienne : — Je veux savoir si tu as des entrailles, répondit-elle.

— Bon ! il y a une anguille sous roche… Parle, reprit le braconnier, qui fronça le sourcil.

— Oh ! ce ne sera pas long. Voici les nièces, quasiment les filles de ma maîtresse, qui sont dans la peine. Ces jeunesses et moi, ça fait trois femmes. Il faut un homme à la maison… Tu as des bras, viens.

— Moi !

— Pardine ! il ne s’agit pas, j’imagine, du sonneur de l’église ! Mme d’Orbigny t’a laissé tuer tout le gibier de ses terres que c’était une pitié !… Tu dois bien quelque chose à ses enfans.

— M’enfermer dans une métairie !

— Le beau malheur !… Une métairie où il y aura du beau pain blanc, du bois sec et une bonne chambre bien close, dans laquelle, si l’envie te prend d’entrer en ménage, il y a place pour deux.

— Quitter mon fusil, abandonner Jacquot !

— Et qui te parle d’abandonner Jacquot ? s’écria la Javiole tandis que le chien rouge remuait la queue. Il se reposera six jours, et le dimanche tu le mèneras dans les bois.

— Six jours sans tirer un pauvre coup de fusil ! C’est impossible, répondit le braconnier.

— Tiens, dit la Javiole en appuyant le doigt sur la poitrine de Francion, tu n’as rien là !… Et si tu dis que tu es mon frère, moi je dirai que tu mens !

Francion ferma les poings sur le canon de son fusil, et d’un coup violent en enfonça la crosse dans le gazon. — Mordioux ! si tu n’étais pas ma sœur !… dit-il d’une voix terrible.

— Eh bien ?… riposta la Javiole, qui resta devant lui les bras croisés.

Il y eut un silence. En ce moment, Marthe, qui revenait des champs un panier de fruits à la main, passa devant eux et les salua d’un signe de tête.