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plait en silence. Elle le vit s’incliner sur la main de la morte, y coller ses lèvres et retirer l’anneau qu’elle avait au doigt.

— Monsieur ! s’écria Marthe.

M. d’Orbigny releva la tête. — Je le lui avais donné, mademoiselle, permettez-moi de l’emporter.

Un grand étonnement saisit Marthe ; mais, se remettant avec cette promptitude qui était dans son caractère et s’inclinant : — Si, comme vos paroles tendent à me le faire croire, dit-elle, c’est mon oncle, M. Le comte d’Orbigny, que j’ai devant les yeux, la maison est à lui, ainsi que tout ce qu’elle renferme.

M. d’Orbigny se redressa ; il avait tout à fait l’air d’un gentilhomme. — Mademoiselle, s’écria-t-il, on vous a sans doute parlé de moi : je puis être un bandit, je ne suis pas un misérable… Vous êtes chez vous.

Ces deux êtres, qui ne s’étaient jamais vus, se regardèrent un instant. Quelque chose d’indéfinissable qui tressaillit dans le cœur de Marthe lui fit comprendre que sa tante eût pu aimer jusqu’au bout l’homme altier qui avait si grand air ; elle devina à quelle personne la pauvre femme faisait allusion au moment où, près de mourir, elle lui conseillait de cacher la bourse d’or. Bien des choses qui s’étaient passées depuis quelques mois, bien des tristesses lui furent expliquées. M. d’Orbigny s’approcha d’elle avec aisance. — Je regrette de vous avoir rencontrée si tard, reprit-il ; je tiens cependant à vous donner la meilleure preuve de la sympathie que vous m’inspirez… Vous n’entendrez plus jamais parler de moi, je vous le jure !

Il se tourna de nouveau du côté du lit. L’ombre de l’attendrissement passa sur son visage. — Elle ne m’a jamais donné aucun sujet de chagrin, et je ne lui ai rien épargné ! murmura-t-il comme un homme qui confesse la vérité ; puis, passant la main sur son front avec un mélange de colère, de regret, d’ironie : — Ah ! reprit-il, il y a des destinées auxquelles on ne peut pas échapper !

La voix de Marthe s’éleva. — C’est la philosophie des cœurs ingrats et des âmes faibles ! dit-elle.

L’éclair brilla dans les yeux de M. d’Orbigny ; mais tout à coup, se maîtrisant et d’un air où l’on reconnaissait l’homme de bonne maison : — Je vois, dit-il, que cette sympathie que je ressentais ne s’est pas trompée dans son élan. Que Dieu vous garde, mademoiselle ! Votre meilleur guide, c’est vous !

Il lui prit la main, la baisa et sortit.


IV.

La maison parut bien grande à Marthe quand elle s’y trouva seule avec Marie. Il fallut régler les comptes, payer les petites dettes,