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reconnu des tendances religieuses. Ici on trouve partout au moins le chaman et son tambourin magique; c’est de superstition, et non d’athéisme, que l’on a accusé les barbares asiatiques. Les navigateurs ont vu des idoles et des moraïs chez tous les insulaires de la Polynésie. L’idée religieuse se retrouve donc sur tout le globe, chez tous les êtres humains. Pour être parfois mal définie, elle n’en existe pas moins. Ce vague même peut laisser quelque incertitude relativement à quelque groupe toujours excessivement restreint, constituant toujours un simple fragment d’une race plus nombreuse où l’existence de la religiosité est certaine. Comment dès lors mettre ces doutes, motivés seulement par notre ignorance, en balance avec le fait général, si grand, si frappant?

La moralité, la religiosité, sont universelles chez l’homme, et manquent chez tous les animaux : toutes deux, agissant comme causes premières, donnent naissance à des phénomènes secondaires que nous appelons les croyances religieuses ou morales; à leur tour, celles-ci jouent dans la vie sociale et politique des nations un rôle dont il est superflu de rappeler l’importance : toutes deux par conséquent agissent sur l’homme à la manière de ces forces, de ces propriétés, de ces facultés fondamentales que l’on a vues caractériser successivement les différens empires, les différens règnes naturels. Méritent-elles pour cela le titre de caractère ou mieux d’attribut dans le sens scientifique du mot? Non, disent ceux qui veulent qu’un caractère repose toujours sur une particularité organique pouvant s’exprimer par la parole ou se reproduire par des figures. Oui, répondront avec nous tous ceux qui, en dehors de toute préoccupation systématique, s’en tiendront purement et simplement à la méthode, aux procédés suivis par la grande majorité des naturalistes. Pour ne citer qu’un des plus illustres, celui dont le nom a le plus d’autorité quand il s’agit des bases de la nomenclature, et dont nous sommes tous les disciples à ce point de vue, qu’a fait Linné quand il a voulu caractériser les végétaux, les animaux? Il a défini les premiers des corps organisés vivans non sentans; la vie est donc pour lui un caractère, un attribut. Eh bien! décrit-on, représente-t-on la vie? Passant aux animaux, Linné les appelle des corps organisés vivans, sentant et se mouvant spontanément. Voilà la sensibilité, la spontanéité devenues à leur tour des caractères, des attributs. Tombent-elles pour cela sous nos sens? A vouloir suivre Linné pas à pas, la définition de l’homme, sa caractéristique, dirait-on en zoologie, serait celle-ci : l’homme est un corps, ou mieux un être organisé, vivant, sentant, se mourant spontanément, doué de moralité et de religiosité.

Qu’on me permette d’insister sur ces considérations, ce sera ré-