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La Peyrère interprète au même point de vue un grand nombre d’expressions générales employées dans la Bible. La terre, dont il est si souvent question, n’est pas pour lui la surface entière de notre globe, mais seulement la terre sainte, celle que Dieu avait destinée à son peuple. Il en précise les limites et en donne une carte peu détaillée, mais assez juste pour le temps. C’est à elle seule qu’il applique les récits relatifs au déluge biblique, déluge qu’il compare aux autres grandes inondations partielles dont diverses nations ont conservé le souvenir. L’histoire de Noé devient ainsi le pendant de celle d’Adam. Ce patriarche est resté le seul représentant, non pas de l’humanité entière, mais des Juifs seulement. C’est contre ces derniers que s’était allumée la colère céleste. Dieu n’a jamais eu l’intention de détruire les gentils.

Il est bien difficile de ne pas être frappé de la ressemblance et souvent de l’identité des doctrines de La Peyrère avec des opinions souvent et encore tout récemment émises; mais qu’on ne s’y trompe pas : La Peyrère n’est nullement un libre penseur, un esprit fort; c’est un théologien, un croyant, qui admet comme vrai tout ce qui est dans la Bible, et les miracles en particulier. Seulement il leur applique son système comme à tout le reste. Pour lui, ces miracles ont toujours été en quelque sorte personnels, et lors même que le texte semble le plus positivement affirmer que les lois générales de la nature ont été bouleversées, il admet que ces lois n’ont été suspendues que localement. Toujours il trouve dans le livre qui lui sert de guide quelque raison à l’appui de son interprétation[1]. En un mot, on trouve partout chez La Peyrère un mélange de foi complète et de libre critique. Ce livre du reste ne convainquit personne, et la doctrine de l’auteur retomba bientôt dans l’oubli jusqu’à ces dernières années, époque où on l’a reproduite et accueillie avec une faveur assez inattendue, principalement en Amérique.

La tentative de La Peyrère était isolée ; elle avait eu lieu à peu près exclusivement sur le terrain de la théologie, et le dogme adamique remporta la victoire sans presque avoir eu à combattre. La guerre que lui déclarèrent les philosophes du XVIIIe siècle devait avoir un tout autre résultat. Ceux-ci étaient nombreux et puissans: ils s’appuyaient sur la science de leur époque; ils en appelaient à

  1. Par exemple, si, pour rassurer le roi Ézéchias, l’ombre a rétrogradé de dix degrés sur le cadran d’Achas, le prodige a été tout local, et le soleil n’est pas pour cela revenu sur ses pas. La preuve en est que le roi de Babylone envoya des ambassadeurs tout exprès pour se renseigner sur ce fait, qu’ils n’auraient pu ignorer, si le cours de l’astre avait été réellement interverti pour la terre entière. « L’étoile des mages, dit encore La Peyrère, n’était qu’une lueur, une espèce de lampe visible pour les pieux pèlerins seulement, » et il en donne pour preuve qu’elle put s’arrêter au-dessus de la maison où était le petit enfant, de manière à l’indiquer nettement, ce qui n’eût pas été possible, s’il s’était agi d’un astre véritable ayant sa place dans le ciel.