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bent en pluie innocente. L’Irlande excite le dévouement de ses patriotes par l’ardeur de ses manifestations, elle les pleure avec un attachement inaltérable ; au moment suprême, elle trahit ceux qui donnent leur vie pour elle.

L’épée offerte par l’Irlande opprimée au maréchal Mac-Mahon, descendant des rois d’Irlande, est une démonstration du même genre; c’est une menace jetée au vent. On aime beaucoup la France en Irlande, et l’on y a suivi avec un vif intérêt la carrière glorieuse d’un militaire français de race irlandaise, aussi modeste qu’il est vaillant, aimé de ses supérieurs avant de l’être de ses inférieurs. En ce sens, l’épée offerte au maréchal Mac-Mahon a été un véritable don national, et il a pu accepter avec fierté l’hommage rendu à sa valeur; mais l’inscription et le discours tenu au maréchal Mac-Mahon n’ont d’irlandais que l’exagération. L’expression de l’Irlande opprimée est une fausse monnaie politique qui n’a plus cours parmi les gens sérieux en Irlande. Des opprimés qui parlent, écrivent et agissent selon leur humeur sont les citoyens d’un pays libre. Lorsqu’on n’est pas protestant en Irlande, on est catholique, et c’est trop que de prétendre faire accorder les souvenirs jacobites avec les passions jacobines, la haine de la bataille de la Boyne avec l’enthousiasme pour Magenta et Solferino, Jacques II et la destruction du pouvoir temporel du pape.

Quant à l’expression de descendant des rois d’Irlande, qui a causé quelque étonnement en France et excité la raillerie en Angleterre, elle est naturelle et, qui plus est, vraie dans le langage celtique. Si les Mac-Mahon, comme je le crois, et comme donne lieu de le penser l’appel fait au souvenir des batailles de Clontarf et de Fontenoy, sont une des branches des O’Brien, ils appartiennent à l’une des familles irlandaises les plus distinguées, à une famille dont la branche aînée a donné des rois à l’Irlande, des lords à l’Angleterre et des maréchaux à la France. Cela ne veut pas dire, comme l’a cru M. l’évêque d’Orléans, trop amoureux de la belle latinité pour se connaître en confusion celtique, que l’Irlande réclame son roi Mac-Mahon, ni qu’un Mac-Mahon ait jamais été roi d’Irlande, ou roi de Munster, ou roi de Thomond, ou than des Dalgais. Cela veut dire qu’en leur qualité de descendans de Brien Boroimhe, les Mac-Mahon sont des cinq-sangs (fire bloods), comme les O’Neil, les O’Connor du Connaught, les Mac-Morrogh et les O’Melaghlin. Etre des cinq-sangs, c’est être descendant des rois d’Irlande, même dans le sens restreint du mot, car on appelle aussi descendans des rois d’Irlande tous les descendans d’un chef de clan, les Mac-Carthy, les O’Donnell, les O’Toole, les O’Callaghan, etc. En Angleterre, où l’esprit aristocratique a tué le sentiment nobiliaire, on ne comprend pas ce que signifient ces ombres du passé qui peuplent l’Irlande, ce que