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L’Irlande est libre, libre de droit et libre de fait. Elle possède toutes les libertés anglaises, libertés individuelles, libertés locales, libertés générales. Ceux qui parlent de l’oppression actuelle de l’Irlande seraient bien étonnés, peut-être effrayés, si on leur donnait la liberté dont jouit l’Irlande. Non-seulement l’Irlande est libre, mais, en ce qui concerne le gouvernement, l’égalité est complète entre l’Anglais et l’Irlandais, entre le catholique et le protestant. En matière d’impôts, l’Irlande est ménagée et même privilégiée; elle ne paie de taxes foncières que pour les dépenses locales, et elle n’est pas soumise à toutes les taxes indirectes qui pèsent sur l’Angleterre. L’instruction primaire est gratuite, répandue dans toutes les paroisses, donnée sans distinction de croyances. Chaque baron- nie[1] possède une maison de pauvres dans laquelle sont reçus et nourris tous les habitans de la baronnie qui le demandent. Aux maisons de pauvres sont adjoints des hôpitaux et des hospices. Un médecin, nommé par le conseil paroissial, donne à domicile des secours et des remèdes gratuits. Dans aucun pays, la société ne s’impose des charges plus fortes en faveur des classes pauvres et souffrantes.

On n’a pu exagérer les souffrances de la misère irlandaise : cette misère du midi sous le ciel du nord, ce dénûment battu du vent et de la pluie, occupent une place distincte parmi les douleurs de l’humanité; mais les famines du moyen âge qui frappent l’Irlande du XIXe siècle ne sévissent point partout et toujours. Les progrès matériels ont été grands en Irlande ces dernières années, plus grands, relativement au point de départ, qu’en Angleterre ou en France. Depuis la famine, les terres se vendaient à 6, 7 ou 8 pour 100; aujourd’hui elles se vendent à 5 et à 4 pour 100. Le revenu se relève après avoir presque disparu. Malgré l’établissement de deux impôts nouveaux (la taxe des pauvres et la taxe du revenu), le produit net des terres est devenu plus certain et d’ordinaire plus considérable. Pendant que les propriétaires rétablissent leurs affaires, les fermiers s’enrichissent et le capital apparaît dans la campagne. L’année 1859 a été très productive pour les grands fermiers; l’année 1860 ne l’a pas été moins. Dans un pays où la plus grande partie des terres peut être mise en pâturages, le prix croissant de la viande et du beurre doit, à moins de circonstances bien défavorables, amener la prospérité agricole. Sauf une exception dont j’indiquerai plus tard la cause, la situation des paysans irlandais s’est également améliorée. Le prix de la main-d’œuvre a doublé et triplé; il est le même que dans la

  1. La baronnie correspond à ce qu’on appelle en Angleterre les hundreds, et à ce qu’on appelait en France les centaines sous les Mérovingiens. C’est une division administrative du comté, plus grande que n’est généralement la commune en France, plus petite que le canton.