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eût mis dans la préface, M. Fallex le met lestement dans ses titres. Si ce procédé n’est pas tout à fait conforme i la simplicité antique, il est vif, ingénieux et assez grec au moins par ce côté.

Je crois pourtant (pic le traducteur des Scènes d’Aristophane aurait pu s’abstenir d’un tel moyen. La verve et la grâce de son style suffisent à soutenir jusqu’au bout l’attention du lecteur. On sait comment Aristophane, parlant à une démocratie spirituelle; et lettrée autant que turbulente et fougueuse, savait passer sans effort de la familiarité la plus hardie à la poésie la plus pure. Pour exprimer des tons si différens, M. Fallex a fréquenté plus d’une école; après maintes pages où se révèle le studieux disciple du Misanthrope et des Plaideurs, on voit tout à coup l’écrivain qui a suivi André Chénier aux bords de l’Ilissus. Tel est ce passage des Nuées où le Juste essaie d’arracher à l’Injuste le cœur et l’esprit du jeune Athénien :

Donc, ô mon jeune ami, suis-moi, viens hardiment.
J’enseigne la raison, non le raisonnement.
Je veux t’apprendre à fuir, à l’égal de la peste.
L’agora, lieu maudit; le bain, lieu plus funeste;
A rougir des propos qui blessent la pudeur,
Et si quelqu’un se moque, à braver le moqueur.
Avec moi tu sauras par quelle bienséance
L’enfant doit se lever quand le vieillard s’avance,
Doit aider ses parens, doit, type de candeur,
Ne jamais s’avilir ni forfaire à l’honneur...
Viens, brillant de fraîcheur en ta fleur jeune et belle,
Enfant, viens au gymnase où la vertu t’appelle...
Là, loin des ergoteurs, des parleurs, des brailleurs.
Loin du troupeau hurlant des pâles chicaneurs,
Dans ses jardins fleuris, la docte académie.
Sous ses verts oliviers, Minerve, ton amie.
Recevra ta jeunesse; et de joncs couronné.
D’un sage et jeune ami toujours accompagné.
Respirant les parfums du smilax, sous l’ombrage
Des peupliers vers vous baissant leur blanc feuillage,
Au sein d’un doux loisir, au retour du printemps.
Quand tout renaît rempli de parfums et de chants.
Quand le platane et l’orme unissent leur murmure.
Heureux, tu goûteras une volupté pure!

Nous citerons encore la dispute d’Eschyle et d’Euripide dans les Grenouilles, le dialogue de Démosthène et du charcutier dans les Chevaliers, celui de Praxagora et de Blépyre dans l’Assemblée des femmes. M. Fallex est arrivé à son but; il nous a donné un Aristophane que chacun peut lire. Réservé naguère aux gens du métier, condamné à une gloire de bibliothèque et d’académie, ce poète de la place publique, le plus hardi lutteur de son temps, essaie de rentrer aujourd’hui au sein de la littérature vivante; les esprits les moins initiés à la connaissance de l’antiquité peuvent s’intéresser à des peintures vieilles de plus de deux mille ans, et dans cette satire de la démocratie athénienne ils retrouveront en souriant bien des traits de notre histoire.


SAINT-RENE TAILLANDIER.


V. DE MARS.