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toire chinois. Il décrit, par exemple, la prise d’un fort de Canton. Nos matelots, plus alertes, sont arrivés les premiers sur les remparts, où l’un d’eux plante notre drapeau. Quoi de plus simple? Les Anglais auront leur tour, et nous aurons le bon goût d’applaudir; mais non : M. Oliphant n’aime pas ce drapeau tricolore qui flotte sur le fort, et alors qu’imagine-t-il? Voici son récit : « Comme les matelots français portent souvent de petits drapeaux tricolores dans les poches de leurs larges pantalons, ils peuvent proclamer promptement leur triomphe. Dans cette occasion, le matelot qui était arrivé le premier, ayant eu la précaution de se munir d’un pavillon national, s’élança sur les murs, le drapeau à la main, en criant à pleine poitrine: Vive l’amiral! l’empereur! la France! l’Angleterre! De là grand enthousiasme...» Nos braves matelots riraient bien, s’ils lisaient ce burlesque épisode. Ils jouent franc jeu, surtout à l’assaut, et ils n’ont rien dans les poches. Un pareil trait serait bien mieux placé dans le rapport d’un général chinois. Heureusement pour lui, M. Oliphant a d’ordinaire la plaisanterie plus attique et plus juste.

Le séjour de lord Elgin au Japon et la conclusion du traité de Yedo remplissent la moitié du second volume. Là, M. Oliphant n’est point incommodé par le voisinage du drapeau français, et nous le retrouvons avec son tempérament naturel, avec son talent et sa verve de description qui rencontrent dans la population japonaise de nombreux sujets d’observation et d’étude. D’après lui, le Japon serait de beaucoup supérieur à la Chine. Le gouvernement y est plus éclairé, et le peuple plus intelligent. Le sol paraît fertile et bien cultivé; l’industrie japonaise a atteint un degré de perfection qui mérite l’admiration des Européens. La description de Yedo, les entrevues avec les dignitaires chargés de négocier le traité, les scènes intimes, officielles ou populaires auxquelles assista le secrétaire de lord Elgin, et dont il nous a conservé le procès-verbal, tous ces incidens forment autant de chapitres qu’on lira avec un vif intérêt dans la traduction qui vient d’être publiée. Nous commençons à être blasés sur la Chine; mais pour nous le Japon est encore tout neuf : c’est peut-être le seul pays au monde où nous n’ayons pas tiré quelques coups de canon.

Il nous reste à parler de l’introduction; elle rappelle un épisode peu connu de l’histoire du gouvernement de juillet, qui, lors de l’envoi d’une ambassade en Chine, avait eu la pensée d’occuper un point militaire dans ces parages. M. Guizot publie les instructions qui furent adressées à M. de Lagrené, ainsi que les dépêches auxquelles donnèrent lieu les projets formés au sujet de l’île de Bassilan. « La France, écrivait-il dès 1843, ne possède actuellement dans les mers de Chine aucun point où les bâtimens qui composeront la station navale puissent se l’avitailler, réparer leurs avaries, déposer leurs malades; c’est donc à la colonie portugaise de Macao, ou à l’établissement anglais de Hong-kong, ou enfin à l’arsenal de Cavite, dans l’île espagnole de Luçon, que la division française devrait demander un point d’appui, un point de refuge, un point de ravitaillement. — Cela n’est point possible. Il ne convient pas à la France d’être absente dans une aussi grande partie du monde, lorsque les autres nations de l’Europe y possèdent des établissemens. Le drapeau français doit flotter aussi dans les mers de Chine, sur un point où nos navires soient assurés de trouver un abri et des secours