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il forme un idiome à part. Ces dernières branches se sont peu développées, et elles n’ont pas brisé l’enveloppe d’une forte synthèse primitive; mais le finnois s’en est affranchi davantage et s’est approprié un notable élément analytique qui, sagement combiné, lui a fait un organisme d’une rare souplesse, propre à exprimer les délicatesses de la pensée humaine. Il a une grande variété de formes et en même temps pour le fond une fixité parfaite: quinze cas, avec un grand nombre de prépositions flexibles, y constituent le mécanisme des noms; la flexion des verbes y est moins abondante, mais suffisante encore et pleine de grâce originelle; les ressources de dérivation y sont inépuisables.

Cette langue n’a été toutefois véritablement cultivée qu’à partir de la réformation. Ce grand événement religieux et social fut pour chaque peuple, parmi ceux du moins qui étaient capables d’une vie propre, le signal d’un retour sur lui-même et d’une revendication de sa personnelle énergie. Le travail interne des langues devait être le symptôme et à la fois l’instrument de cette initiation à la culture moderne. En 1548 parut le Nouveau-Testament en traduction finnoise, et le traducteur, l’évêque Agricola, y ajouta quelques ouvrages sur des sujets religieux. La littérature religieuse s’accrut encore considérablement pendant le siècle suivant; mais, comme le pays était soumis politiquement à la Suède, qui s’honorait d’ailleurs par un remarquable respect de la personnalité finlandaise, la langue suédoise resta celle de l’administration, celle des emplois et des honneurs, celle de la haute église luthérienne et des tribunaux. Toutefois, quand, après la conquête russe de 1809, la Finlande fut constituée, comme elle l’est encore aujourd’hui, en nation particulière et distincte, avec l’empereur de Russie pour grand-prince, on recueillit les fruits de la libéralité suédoise : le peuple de Finlande, paysans et armée, avait conservé sa langue nationale et même, grâce à un certain nombre d’écrivains, l’avait développée en la cultivant. Ainsi se trouva-t-elle prête aux efforts d’une renaissance dont une volonté commune donnait le signal. Le pasteur du haut de la chaire, le grammairien dans l’école, le philologue à l’université, le poète enfin, tous se mirent à l’œuvre. Les efforts furent quelque temps dispersés, ils s’associèrent ensuite. Le 16 mars 1831 fut fondée la Société de littérature finnoise, grâce à laquelle, avec le concours d’hommes énergiques et dévoués comme M. Elias Lönnrot, ont été réunies et pour la première fois écrites ces innombrables poésies du Kalevala et du Kanteletar et ces « proverbes et énigmes » qu’une muse populaire avait imaginés dès les temps mêmes du paganisme, et que la tendre enveloppe d’une langue incomparablement harmonieuse et flexible avait conservés et transmis à travers les âges.

C’en est assez sans doute pour démontrer que la nationalité finlandaise s’est fait une place dans l’heureuse variété de la société européenne. Précisément parce qu’elle ne ressemble pas à ce qui l’entoure, il faut la prendre en grande considération, quand même elle ne se recommanderait que par ce privilège. Qui pourrait apprécier les trésors d’imagination et de traditions perdus chaque fois qu’au milieu de notre vieille Europe une nationalité est opprimée ou se meurt? Qu’on calcule ce que M. Lönnrot et le zélé Castrén ont recueilli de la race finlandaise, qu’on relise les poésies