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peintre, quel artiste, quel amant de l’idéal ne sait pas que la vie est dans l’expression, l’être intérieur dans la physionomie ?

Avec une bonté également douce qui frappait dès la première heure, les deux sœurs se séparaient par des nuances de caractère qu’on ne distinguait pas avec la même facilité. Avec Marthe, c’était l’affaire d’un jour, quelquefois d’un moment. Elle était comme une plaine unie où l’œil du voyageur découvre à d’énormes distances le moindre buisson ; il en sait tous les accidens avant d’y poser le pied. Les amis de la maison n’ignoraient donc pas que Marthe avait un fonds d’obstination que rien n’ébranlait dès qu’elle croyait être dans le vrai ; elle était de soie et de velours jusqu’au moment où, sous cette surface brillante et moelleuse, on rencontrait le roc. Mme de Neulise ne s’y heurtait pas. Miss Tempête avait l’entêtement gai ; elle ne se fâchait pas, ne disputait pas : elle riait et restait enracinée dans son idée. Cette bonne humeur n’excluait pas, il est vrai, une disposition toute particulière à l’impatience. Aussitôt qu’une chose était décidée, rien n’allait assez vite à son gré ; il lui prenait par momens des boutades qui partaient en fusées, et qui frappaient les personnes qu’elle aimait le plus sincèrement. À la première larme, tout tombait : mais, gâtée jusque dans ses moindres caprices, jamais elle n’avait appris à se maîtriser et ne faisait aucun effort pour y réussir. La surprise s’emparait de Marie quand elle assistait à ces explosions ; mais à son tour Marthe ne pouvait se défendre d’un grand étonnement quand elle surprenait la trace légère et voilée à demi d’une excessive susceptibilité en matière de sentiment, que sa sœur cachait au plus profond de son être.

— Que t’importe de céder ? disait l’une, que t’importe de partir aujourd’hui ou de partir demain ?

— Pourquoi pleurer quand ta marraine oublie de t’embrasser le matin ? disait l’autre.

Marthe et Marie secouaient la tête chacune à son tour.

— Tu n’as pas de sang dans les veines, répondait miss Tempête.

— Tu ne sauras jamais aimer, répliquait Marie.

Ce dernier mot faisait réfléchir l’insouciante fille de Noémi. — C’est possible, reprenait-elle après un court silence ; mais il en est, je crois, de ces sentimens comme du chant des oiseaux : la tourterelle roucoule, la fauvette gazouille, et chacune garde son nid.

Le départ de Mme de Neulise et de Marthe faisait tout rentrer dans le calme. La vieille maison de Rambouillet ne s’ouvrait plus que pour recevoir la visite de M. Pêchereau. Mme d’Orbigny et Marie employaient huit jours à mettre un peu d’ordre dans les appartemens ; on voyait que Marthe avait passé partout. Marie recueillait tous les petits objets oubliés par sa mère et sa sœur, elle les serrait