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quête et le démantèlement de la péninsule bretonne. Personne n’ignore que ce fut sous les murs de cette dernière forteresse que se livra la bataille qui décida pour jamais du sort de la Bretagne, et qui, après une lutte de six cents ans, donna raison à la géographie contre la nationalité, aux grandes armées contre un petit peuplé. Le 27 juillet 1488, une armée formée de paysans bretons vint attaquer les Français, retranchés sous les murs de Saint-Aubin-du-Cormier. Ces recrues étaient nombreuses et braves; mais les chefs manquaient aux soldats, car les plus grands seigneurs de la Bretagne servaient dans l’armée de La Trémouille, tandis que, par un contraste étrange, l’héritier de la couronne de France se trouvait dans les rangs de l’armée bretonne. Celle-ci engagea la bataille avec la résolution de mourir plutôt qu’avec l’espérance de vaincre. Récemment réconcilié avec son souverain et avec sa patrie, le maréchal de Rieux, qui commandait les Bretons, ne leur inspirait ni estime ni confiance, et en voyant le premier prince du sang de France dans ses rangs et tant de seigneurs bretons engagés avec l’ennemi, l’armée, torturée d’angoisses, doutait à la fois d’elle-même, de ses auxiliaires et de ses chefs. L’air était tout rempli de bruits de trahisons et de mystérieux murmures, et la nuit même qui précéda la bataille, un tumulte soudain ayant éclaté dans le camp, les Bretons furent sur le point de se précipiter sur les tentes occupées par le duc d’Orléans. Il fallut, pour rassurer l’armée, que ce prince et le prince d’Orange missent pied à terre et vinssent de leur personne combattre au milieu des fantassins, désarmant ainsi la calomnie par leur courage, et présentant leur tête pour gage de leur fidélité. Ce fut sous ces sinistres auspices que se prépara la dernière journée de la Bretagne, et que son histoire vint s’achever dans un désastre où elle aussi elle perdit tout, fors l’honneur.

François II, presque en enfance, et qui, depuis la mort de Landais, avait transmis au maréchal de Rieux la conduite de ses affaires et la tutelle des deux princesses ses filles, survécut à peine au coup qui avait décidé du sort de sa famille et de sa patrie. La Bretagne allait toutefois subir encore les horreurs de trois années d’angoisse et d’anarchie. Des rochers du Léon, des landes de la Cornouaille, de toutes les gorges des montagnes d’Arrhé et des Montagnes-Noires, du fond des dernières bicoques sur lesquelles flottait encore l’étendard semé d’hermines, partit un long cri de désespoir et d’amour. Partout la princesse Anne fut acclamée avec ivresse, et l’on vit cette souveraine de quatorze ans, sans armée, sans villes closes, bientôt après sans capitale, commencer à travers les fondrières et les forêts la vie errante dont les pérégrinations périlleuses ont imprimé le cachet d’une immortelle poésie aux châteaux et aux chaumières qui l’abritèrent pour une nuit. Anne avait