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honneur ou sa conscience, à cause de quoy les façons et violences de Landays luy desplaisoient outre mesure, et ne se vouloit submettre à iceluy, comme il eust été requis pour se maintenir en ceste saison avec cet arrogant homme, qui, irrité de ce, se banda de tout point à sa ruine: et fut remarqué un présaige, qu’estant ces deux un jour entrés en aigreur de paroles, ils prédirent la ruyne l’un de l’autre. Car Landays ayant menacé le chancelier Chauvin de le réduire à telle nécessité qu’il le feroit manger aux poux, le chancelier lui dist que ses actions et dépprtemens lui apporteroient enfin une punition de justice par une mort honteuse; ce qui arriva depuis à tous les deux[1]. »

En regard de ce que dit d’Argentré de l’austère probité du chancelier, il faut bien placer un fait qui projette quelque ombre sur le tableau. Au début de sa carrière. Chauvin avait été poursuivi comme concussionnaire, sous la double prévention d’avoir exagéré à son profit les droits du sceau, et d’avoir, durant une guerre avec l’Angleterre, vendu des saufs-conduits à des marchands anglais. Les faits n’étaient ni contestables ni contestés[2]; mais ils ne parurent pas sffisans pour déterminer une condamnation de péculat, ni même pour provoquer une disgrâce, le souverain n’étant pas alors moins débonnaire que la conscience publique n’était facile. De 1463, date de cette affaire, à 1481, date de son arrestation, Chauvin continua donc à exercer les fonctions de chancelier de Bretagne. Tout à coup on le voit arrêté par les archers de la garde ducale, jeté en prison et placé sous une accusation que des commissaires sont chargés de poursuivre, et sans que ceux-ci aient jamais prononcé aucun arrêt. Cependant en l’absence de tout jugement, dans le silence des tribunaux, saisis d’étonnement et d’effroi, tous les biens du chancelier sont séquestrés, y compris les lits de sa femme et de ses enfans, à ce point que sa famille, naguère opulente, est réduite à la plus affreuse misère et obligée, nous disent les contemporains, de tendre la main aux passans. L’on ne trouve ni dans Alain Bouchart ni dans d’Argentré, si favorables l’un et l’autre au chancelier, aucune sorte de renseignemens sur les faits qui lui furent alors imputés; pas un document ne paraît exister dans nos archives bretonnes sur la procédure mystérieuse poursuivie pendant une année par les soins de François Chrestien, créature et ami du chancelier, contre son malheureux prédécesseur. Aucun rayon de lumière n’éclairerait cette affaire, si d’Argentré, sénéchal de Rennes, admis à relever les réponses adressées par Landais au procureur-général durant le cours

  1. Bertrand d’Argentré, liv. XII, ch. 20.
  2. Voyez l’information relative à cette affaire an tome II des Preuves de l’Histoire de dom Lohineau, col. 1401, information copiée sur l’original. — Archives de Nantes, arm. K, cass. A, n° 10.