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mencement de septembre, et dans lesquelles les républicains eurent des majorités formidables, démontrèrent que ce n’était pas trop de l’union de tous les adversaires de M. Lincoln pour empêcher son élection par le peuple : il n’y avait plus de temps à perdre. Le président et ses ministres reconnurent la nécessité d’agir sans retard, et quoiqu’il dût leur en coûter de prendre une pareille initiative, ils décidèrent les amis de M. Breckinridge à s’aboucher avec les partisans de M. Douglas et à proposer une fusion à trois dans les états du nord. La négociation fut longue et difficile ; elle échoua à plusieurs reprises, et elle eut pour conséquence de nouvelles défections qui vinrent grossir encore le parti républicain. Ce qui rendait la fusion à trois plus inacceptable pour beaucoup de citoyens, c’est qu’elle se négociait exclusivement entre les comités, qu’elle avait comme premier résultat l’adoption pour les élections locales de listes mixtes, dans lesquelles une part des fonctions publiques était faite aux meneurs de chaque fraction, et qu’elle avait ainsi tous les caractères d’un marché où les valeurs livrables étaient les votes des électeurs. Nombre d’honnêtes gens se récriaient contre ces arrangemens, où l’on disposait de leurs suffrages sans les consulter, et le parti unioniste de New-York s’en trouva fort affaibli. En Pensylvanie, les choses se passèrent à peu près de la même façon et aboutirent aux mêmes résultats. On attendait avec curiosité, pour juger la fusion à l’épreuve, les élections d’octobre : les trois grands états du centre, la Pensylvanie, l’Ohio et l’Indiana, représentant ensemble 63 suffrages pour la présidence, devaient élire leurs gouverneurs le 8 octobre, juste un mois avant la nomination des électeurs fédéraux. Dans les trois états, la triple opposition s’était mise d’accord: néanmoins les trois candidats républicains furent nommés. M. Curtin eut dans la Pensylvanie une majorité de 30,000 voix, et le nombre des électeurs qui avaient pris part à l’élection était si considérable qu’il n’y avait aucune possibilité de modifier ce résultat. Ce qui frappa surtout, ce fut le vote de la ville de Philadelphie, où les démocrates avaient habituellement les deux tiers des suffrages, et où M. Poster, malgré sa popularité personnelle, n’eut que 2,000 voix de plus que le candidat républicain. Le journal qui avait le plus énergiquement poussé à la triple fusion, le New-York Herald, n’hésita pas à reconnaître que la partie était perdue en Pensylvanie, et que la seule chance de prévenir l’élection de M. Lincoln était de lui enlever à tout prix les 35 suffrages de New-York. Il adressa donc un appel désespéré aux trois oppositions pour les conjurer de concentrer sur New-York tous leurs efforts et toutes leurs ressources, laissant même entendre qu’il ne fallait pas reculer devant l’achat des votes; mais rien ne divise et n’aigrit plus que la défaite : les trois fractions coalisées rejetaient l’une sur l’autre