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aucune sur l’élection, et ne pouvaient donner à M. Lincoln un seul suffrage de plus; mais elles avaient une importance extrême comme symptôme pour l’avenir, et elles furent le fait le plus significatif de la campagne électorale.

Le rejet définitif par le sénat du bill qui remaniait le tarif des douanes eut toutes les conséquences que M. Bigler avait prédites. Il irrita profondément les états industriels. Le New-Jersey, qui comptait par centaines les usines réduites à chômer par la concurrence anglaise, et dont certains districts se dépeuplaient de jour en jour, et la Pensylvanie, où l’industrie du fer était en souffrance, donnèrent des signes manifestes d’opposition. L’opinion que M. Lincoln, à qui l’on accordait déjà l’Indiana, triompherait aussi dans ces deux états et obtiendrait la majorité absolue, s’accréditait de plus en plus. Le seul moyen de prévenir ce résultat et de renvoyer l’élection au congrès parut être une entente entre les adversaires de M. Lincoln. Dans le New-Jersey, où les amis de M. Breckinridge étaient maîtres de l’organisation démocratique, un arrangement intervint entre eux et les unionistes : ils convinrent de voter pour une liste commune où chaque parti nommerait la moitié des électeurs fédéraux, afin d’assurer à son candidat, en cas de succès, la moitié des suffrages de l’état. Dans le New-York, les amis de M. Douglas formaient la fraction de beaucoup la plus considérable du parti démocratique : ce furent eux qui s’entendirent avec les unionistes en leur offrant dix places sur trente-cinq dans la liste des électeurs; mais ces dix électeurs pourraient-ils, dans tous les cas, voter pour M. Bell, ou devraient-ils, dans certaines éventualités, voter pour M. Douglas? Telle fut la question que soulevèrent les journaux républicains, et qui ne reçut jamais de réponse précise, chacune des parties contractantes interprétant la convention à son avantage. Or le principal noyau des unionistes était formé de gens exclusifs qui auraient voulu rendre plus rigoureuses les lois sur la naturalisation, et le gros des forces de M. Douglas se composait des Allemands naturalisés, qui avaient en haine les unionistes. La liste mixte avait à peine paru qu’il y eut de part et d’autre des démissions et des refus de concours. Le rédacteur du principal journal allemand, M. Ottendorfer, fit rayer son nom en déclarant qu’il lui était impossible de figurer sur la même liste que des électeurs hostiles aux citoyens naturalisés. Quelques-uns des chefs des unionistes, M. Dodge, M. Putnam, protestèrent également contre la fusion, disant qu’ils avaient voulu de bonne foi constituer un tiers-parti, mais qu’ils ne voulaient en aucun cas et d’aucune façon contribuer au succès d’un candidat démocratique. Ils annoncèrent l’intention de voter pour M. Lincoln, et prirent désormais une part ouverte aux manifestations républicaines.

Les élections du Vermont et du Maine, qui eurent lieu au com-