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lace et faillit être maltraité. M. Douglas croyait pouvoir compter sur l’appui des hommes les plus modérés et les plus sages du sud; mais ceux-ci n’avaient soutenu chaudement sa candidature que parce qu’ils la croyaient la seule capable d’éveiller des sympathies au sein des états libres. Après avoir tout fait pour prévenir une rupture, voyant le mal accompli et jugeant les chances de M. Douglas anéanties, ils crurent inutile de se compromettre aux yeux de leurs concitoyens pour uns cause désormais perdue. Ils s’abstinrent ou se rallièrent graduellement à M. Breckinridge. M. Buchanan, dont la vengeance n’était encore qu’à demi satisfaite, donna audience à une députation de la convention défectionnaire, approuva hautement les choix qu’elle avait faits, et promit le concours le plus empressé de la part de l’administration. En effet, tous les employés des divers départemens ministériels à Washington reçurent l’invitation d’abandonner quinze jours de leurs appointemens au profit de la souscription ouverte parmi les amis de M. Breckinridge, et bon nombre de fonctionnaires qui s’étaient compromis en faveur de M. Douglas furent destitués. Partout où l’action de l’administration put se faire sentir, les comités locaux du parti démocratique se prononcèrent en faveur de M. Breckinridge.


IV.

La scission si longtemps redoutée était donc accomplie et irréparable. La gravité de ce fait ne se mesurait pas à l’influence qu’il devait nécessairement avoir sur les chances des divers candidats; il avait une portée bien plus étendue. L’élection de 1856 avait démontré que la grande majorité des citoyens du nord était radicalement hostile à l’esclavage; mais il restait alors, jusque dans la Nouvelle-Angleterre, un parti prêt à faire cause commune avec le sud, et ce parti, celui des démocrates du nord, dont M. Douglas avait un moment obtenu le concours, avait été assez paissant pour l’emporter dans plusieurs états. L’élection de 1860 allait constater la dissolution de ce parti intermédiaire, la rupture de ce dernier lien entre les deux sections de la république : non-seulement il était impossible d’espérer les suffrages d’un seul état libre pour le candidat qui représenterait les idées du sud, mais ce candidat aurait à lutter contre la presque unanimité des populations du nord. La crise qui devait décider du sort de la république était donc bien réellement arrivée. Lorsque M. Wigfall, sénateur pour le Texas, en recommandant la candidature de M. Breckinridge aux citoyens de Wheeling, disait : « Si un autre candidat que lui est élu, attendez-vous à des jours d’orage; il pourra bien y avoir encore une confédération, mais elle ne comptera plus trente-trois états, » il n’était