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coûteuses : allocations stériles que vous arrachent de hardis solliciteurs. L’exposition et le prochain concours vous fourniront la meilleure réponse à leurs importunités. Nous ne demandons pas que le gouvernement se dépouille du droit de faire entreprendre de grands travaux et de décorer les monumens publics; nous ne prétendons pas non plus qu’il s’interdise le plaisir d’accroître son influence, de répandre des faveurs et de se créer des amis. Donnez satisfaction, puisqu’il en a toujours été ainsi, aux convenances politiques et aux nécessités de situation; réservez-vous surtout la gloire d’aider le mérite, de deviner le génie, de le faire surgir, si vous le pouvez. Sans sacrifier aucun de ces privilèges, vous trouverez aisément à tailler dans le superflu, de façon à déposer tous les deux ans sur le bureau de l’exposition un million, enjeu du concours qui va s’ouvrir. Annoncez au jury que les tableaux ou les statues qui auront été classés dans les cent premiers rangs se partageront ce million. Laissez des juges aussi compétens établir les bases du partage d’après l’importance et le mérite des œuvres. Vous ne ferez, après tout, pour les arts que ce que vous faites pour la littérature dramatique et la musique. Des subventions considérables ne sont-elles pas accordées au Théâtre-Français et au théâtre de l’Opéra, afin qu’ils représentent, fût-ce avec perte, non-seulement les œuvres classiques, mais les nouveautés dont le caractère élevé et sérieux illustre notre pays, sans séduire la foule et sans obtenir ce qu’on appelle aujourd’hui le succès?

« Si l’on vous dit, à vous qui tenez dans vos mains la direction des beaux-arts, que votre intérêt s’oppose à ce qu’un tel pouvoir soit délégué au jury, ceux qui vous parlent ainsi sont vos ennemis. N’est-ce donc pas une responsabilité et un sujet d’effroi que d’avoir à décider, entre mille artistes que la France produit, lesquels seront encouragés, lesquels rebutés, lesquels seront accablés de faveurs, lesquels auront faim, et d’avoir à reconnaître de quel côté sont le talent et l’avenir, de quel côté la médiocrité et le danger? Ce qui se passe dans les autres administrations doit vous donner à réfléchir. Les magistrats et les présidens des tribunaux ne peuvent point prononcer qu’un voleur et un assassin sont coupables, et s’en remettent au vote de douze citoyens tirés au sort; les notions du bien et du mal sont cependant claires et écrites dans toutes les consciences. Le ministre de la guerre n’ose donner de l’avancement dans l’armée que sur l’avis d’un comité spécial, composé des officiers les plus expérimentés ; il est aisé cependant de savoir ce que c’est que la bravoure et l’exactitude au devoir. Le ministre de l’instruction publique ne nomme point à une chaire de l’École de droit sans qu’elle soit mise au concours, et n’institue professeurs au Col-