Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/657

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se serait trouvé en face d’une législature hostile ; il aurait été dans l’impuissance de gouverner. Il n’en fut point ainsi : le choix des électeurs du nord-ouest et du centre se porta de préférence sur des candidats qui, tout en étant les adversaires d’une extension de l’esclavage, étaient prêts à seconder l’administration du président. Sûr déjà de l’appui du sénat, où les démocrates dominaient, M. Buchanan eut dans la nouvelle chambre des représentans une majorité qu’on ne pouvait évaluer à moins de 35 voix.

Il semblait donc que la route fût toute tracée devant le président. Il suffisait à celui-ci de se rendre compte des causes qui avaient amené son élection pour voir quelle direction il devait imprimer à sa politique. Tenir la balance égale entre les partisans et les adversaires de l’esclavage, calmer l’opinion publique violemment irritée dans les états du nord, telle était évidemment la seule conduite à suivre pour la nouvelle administration. M. Buchanan ne vit dans son succès personnel qu’une preuve de plus de l’ascendant irrésistible des états à esclaves : il avait conçu la pensée d’illustrer son passage au pouvoir par la conquête de Cuba ou du Mexique ; dans l’espoir que la reconnaissance assurerait à ses desseins ambitieux le concours des états à esclaves, il résolut de trancher en faveur de ceux-ci, par un coup de majorité, la question qui divisait le nord et le sud de l’Union. Cette question était celle du Kansas. Au risque de rallumer la guerre civile, qui avait déjà éclaté par deux fois au Kansas, M. Buchanan se déclara systématiquement pour les prétentions du sud, qui voulait introduire l’esclavage dans ce territoire malgré l’opposition de la majorité des habitans; il voulut faire recevoir le Kansas dans la confédération comme état à esclaves. Le nouveau président espérait emporter ce vote de haute lutte, et il comptait sur la lassitude de l’opinion pour faire accepter ensuite le fait accompli : il ne réussit qu’à briser sa majorité. Les démocrates du nord, arrivés au congrès avec l’intention de soutenir le président, refusèrent de le suivre dans cette campagne à outrance en faveur de l’esclavage : ils savaient ne pouvoir le faire sans froisser violemment le sentiment public dans leurs états et sans se fermer à jamais la carrière politique. Ils firent à M. Buchanan une opposition d’autant plus redoutable qu’ils étaient conduits par un homme de talent dont l’avenir était en jeu. M. Stephen Douglas, sénateur pour l’Illinois, était l’auteur du bill qui avait rapporté le compromis du Missouri[1] et qui avait ainsi rendu possible

  1. On appelle compromis du Missouri une loi de 1821 qui, en admettant le Missouri dans la confédération, décida que l’esclavage pourrait légalement être introduit dans les territoires au sud de 36° 30’de latitude, mais qu’il continuerait d’être interdit au nord de cette latitude.