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teur, et après s’être légèrement incliné devant Hugh, il alla se rasseoir à son bureau, ce qui l’éloignait assez de nous pour le rendre étranger à la conversation qui allait suivre. Hugh Wyndham m’épargna de vains préliminaires.

— Vous savez, me dit-il, où est mon frère?... Vous savez de quoi il est accusé?

Un signe de tête fut toute ma réponse.

— Cela étant, poursuivit-il, toute explication serait inutile... Votre mère vous prie de lire ceci en ma présence. Vous y répondrez de vive voix, et je lui ferai connaître votre décision.

La lettre qu’il me remit était conçue en ces termes :

« Aux mains de l’homme que vous aimez et qui vous aime, je confie cet appel fait à votre justice. Je lui devrai peut-être la ruine de cet horrible complot tramé contre la vie de mon mari, tramé contre mon honneur. Son influence luttera utilement, je l’espère, contre ces assertions mensongères qui ont, je puis le craindre, empoisonné votre esprit. Ses conseils vous donneront la force de braver les ressentimens que vous craignez sans doute, de renoncer à vos fatales préventions, de proclamer la vérité, qui peut nous sauver tous. Des témoins subornés affirment, contre toute vérité, que M. Wyndham était à Blendon-Hall le 12 septembre, qu’il s’y est rencontré avec moi, et qu’immédiatement après m’avoir quittée, il a commis le crime dont on l’accuse. Vous n’aviez guère que cinq ans à cette époque ; mais comme dans cette matinée fatale vous ne m’avez pas quittée un seul instant, comme on pourra établir que votre précoce intelligence, vos habitudes observatrices, vous mettaient dès lors à l’abri de toute supercherie, votre témoignage détruira ceux qu’on invoque au profit du mensonge. Il est heureux que le mauvais vouloir de nos ennemis ait précisément choisi pour nous perdre ce moyen que vous pouvez, si vous le voulez, anéantir avec une seule parole. Vous me devez cet acte de justice, que d’ailleurs moi, votre mère, j’implore de vous comme un bienfait. A détruire mon bonheur, vous perdez le vôtre. Hugh vous aime, vous savez à quel point; mais si, dans votre aveugle acharnement, vous refusez d’attester la vérité qui sauve son frère, il faudra bien qu’il renonce à vous. La malédiction de sa mère serait sur lui, s’il agissait autrement. Ayez donc pitié de vous-même et pitié de moi. »

Assise et cette lettre étalée sur mes genoux, je restai quelque temps abîmée dans les réflexions poignantes qu’elle me suggérait. Je comprenais ce qu’on attendait de moi, le prix dont on voulait payer ma docilité, le châtiment dont on voulait effrayer mon obstination. Je voyais aussi que Hugh persistait encore, et malgré tout, à croire son frère innocent. Le courage me manquait pour dissiper