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A peine écoutais-je ces vaines formules de regret. Ma pensée venait de se reporter sur Hugh Wyndham : — C’est donc pour cela, balbutiai-je, qu’hier même il est parti à l’improviste?

— Parti!... Hugh Wyndham est parti?... s’écria mon frère, dont le regard inquiet jeta aussitôt de nouveaux éclairs... Quelque espion damné l’aura prévenu. Owen Wyndham est peut-être déjà hors d’Angleterre.

Ces sombres regards, cette voix âpre, ces accens de fureur me firent alors cruellement expier ces vœux de vengeance, ces prières blasphématoires dont j’avais fatigué le ciel; mais Godfrey s’était déjà jeté sur un paquet de lettres qu’on lui avait remises à son arrivée, et qu’il n’avait pas encore songé à décacheter. Il en prit une, l’ouvrit à la hâte, et une sorte de sourire farouche vint illuminer ses traits lorsqu’il l’eut parcourue. Ce fut d’une voix calme, mais avec effort, qu’il nous dit ensuite : — Je me trompais... Rien n’est plus à craindre... Owen Wyndham est aux mains de la justice.

…………… ;;

J’appris dès le lendemain et très en détail, par ma belle-sœur, — car Godfrey évita désormais tout entretien avec moi sur ces sujets pénibles, — le fatal enchaînement de faits qui rattachait à ce sombre dénoûment les paroles que, presque malgré moi, j’avais prononcées devant mon frère lors de notre visite à Blendon-Hall. On n’a peut-être pas oublié qu’elles l’avaient amené à commencer une sorte d’enquête, infructueuse au début et bientôt interrompue par son embarquement. L’homme de loi qu’il avait chargé de la continuer, — en lui laissant sous le sceau du secret le résumé des faits sur lesquels il lui semblait possible d’établir un commencement de poursuites, — avait jugé les constatations tout à fait insuffisantes et nos soupçons absolument dénués, non de vraisemblance, mais de consistance légale. Cette conviction avait à peu près passé dans l’esprit de mon frère, quand après son retour il nous quitta pour se rendre auprès du capitaine Stirling. Là, peu de jours après son arrivée dans le Cheshire, vint le trouver une lettre de mistress Smith, qui, conformément à une promesse antérieure, lui donnait l’adresse de Jane Hickman, revenue en Angleterre après une absence de trois ans. Godfrey vit cette femme, dont les souvenirs encore présens lui eussent permis d’établir qu’Owen Wyndham avait quitté mystérieusement Blendon-Hall le jour de l’assassinat, en traversant la bibliothèque et le cabinet de mon père; mais c’était tout, et si un crime se trouvait ainsi à peu près avéré, Jane elle-même ne le rattachait nullement au tragique épisode du 12 septembre. Richard Carter était encore, à ses yeux, le meurtrier de son pauvre maître. Quant à son frère, quant à Tom Hickman, malgré sa disparition