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herbes folles et inutiles que fait naître le premier sourire du printemps, on lui montre une moisson bienfaisante et dorée, fruit du labeur. Cette moisson n’a plus ni l’éclat, ni l’ampleur des anciens âges ; mais elle est à la taille de notre siècle et le nourrira selon ses forces. Toutes les œuvres admises ne sont pas belles, mais toutes dénotent, jusqu’à un certain degré, le culte de l’art sérieux, la conscience, l’effort sincère, les nobles aspirations. De même que les bonnes actions n’ont pas besoin d’être sublimes pour nous émouvoir et nous pénétrer, de même la peinture et la sculpture, sans être parfaites, peuvent porter avec elles leur moralité. Les artistes ont pour mission de charmer l’intelligence et de purifier les sens par le spectacle de la beauté. La lutte, fût-elle impuissante, les convictions, fussent-elles incomplètement traduites, l’ardeur du beau, toujours communicative, sont encore un spectacle qui vivifie les âmes et les ennoblit. Si notre époque est frappée du sceau de la décadence, il est du moins en notre pouvoir de ralentir cette décadence. Les artistes qui ne se lassent point de combattre pour une telle cause ne sont pas moins estimables que l’homme de bien aux prises avec l’adversité. Que les esprits soient donc soumis, à leur insu, à cette influence morale! D’ailleurs quel aiguillon pour eux, quel plaisir de contrôler les jugemens du tribunal suprême, de peser ses choix, de critiquer ses tendances, de critiquer surtout, parce que c’est notre génie propre! D’autre part, quelle sécurité pour ceux qui pensent que le goût du public a besoin d’être dirigé! Quelle satisfaction de savoir que les luttes d’opinions ne s’engagent que sur un terrain ferme, que les discussions n’ont d’autre objet que le bien ou le mieux ! Ainsi le cavalier sourit quand son cheval s’emporte sur une voie large et droite. Que l’Académie ne redoute point un contrôle qui ne peut qu’ajouter à son autorité, puisqu’on finira toujours par s’y soumettre au nom du bon sens et de la justice. Elle a même un moyen, d’autant plus puissant qu’il est secret, d’agir sur les artistes et sur la foule en montrant à ceux-là le frein, à celle-ci les modèles.

En effet, par cela même qu’elle fixe pour chaque branche de la peinture ou de la sculpture le chiffre que les œuvres admises ne pourront dépasser, elle encourage ou rebute chaque branche, selon l’importance qu’elle y attache, ou selon le courant qu’elle veut combattre. Par exemple, si elle fait une part abondante à la peinture religieuse et au grand art, elle exhorte les artistes à ne point les négliger, comme ils le font aujourd’hui, mais à les estimer la première gloire d’une école. Si elle honore le paysage classique, elle nous rappelle à tous combien doit nous être sacré l’héritage de Nicolas Poussin et de Claude Lorrain. Si elle rejette les caricatures et les tableaux puérils, si elle n’accorde qu’un petit nombre de