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Aussi n’était-ce pas sans anxiété que je cherchais à deviner dans les démarches de Godfrey l’issue plus ou moins heureuse des recherches auxquelles il se livrait sans me le dire. J’appris indirectement qu’il avait revu mistress Smith (la boulangère de Blendon), et n’avait pu se procurer par elle l’adresse exacte de Jane Hickman. J’appris aussi que toutes les démarches faites pour retrouver Tom Hickman, pour savoir s’il était mort ou vivant, en Angleterre ou en pays étranger, n’avaient donné aucun résultat certain. Les dernières lettres de lui que ses proches eussent reçues étaient datées de l’île de Man, et remontaient à trois ou quatre ans. Elles n’indiquaient aucun domicile précis. Je commençai donc à espérer que ma participation involontaire à l’œuvre vengeresse ne deviendrait pas pour moi, comme j’avais d’abord pu le craindre, une source d’inéluctables remords et de repentir éternel. Je fus encore bien mieux rassurée à cet égard quand Godfrey un jour nous annonça que ce commandement qu’il avait tant désiré, tant sollicité, venait de lui être expédié des bureaux de la marine. Vis-à-vis de Christine, il ne pouvait, sans l’étonner, sans l’alarmer peut-être, mal accueillir cette marque de confiance et de faveur; mais il n’essaya pas de me cacher quel désappointement, quelle irritation lui causait cette barrière tout à coup jetée entre lui et les coupables dont il poursuivait ardemment la punition. — Refuser est impossible, disait-il. Cette inconséquence apparente me perdrait à jamais... Et d’un autre côté... Ah! withy !... ajouta-t-il avec un regard de reproche facile à traduire, si seulement!...

Ni mon silence, ni l’expression de ma physionomie ne l’encouragèrent à terminer cette phrase significative. Il repartit, bien certain qu’en son absence je ne prêterais aucun concours, je ne donnerais aucune suite au laborieux achèvement de ce qu’il regardait comme notre commune vengeance.


VII.

« Ne laissez pas notre pauvre Alswitha s’ennuyer par trop... Et si une occasion s’offrait de lui faire un peu voir le monde, que votre sagesse, votre économie, ne vous la fassent pas négliger; » telles avaient été les dernières recommandations de Godfrey à ma belle-sœur, et la douce Christine était de ces femmes qui obéissent à leurs maris absens mieux encore que s’ils étaient là pour assurer l’exécution de leurs ordres. Il fallut donc, un peu malgré moi, l’accompagner chez quelques-uns de nos voisins, accepter les invitations qui nous étaient adressées, tantôt à une chasse, tantôt à une de ces fêtes rustiques dont le tir à l’arc est le prétexte. Là se rencontraient parfois