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elle avait le secret, voulut essayer quelques consolations : je dois avouer qu’elles furent mal accueillies; au lieu d’adoucir ma peine, elles m’humiliaient. M. Wyndham, mieux avisé, se taisait; mais je ne pouvais douter qu’il ne fût, lui aussi, maître de mon secret. Si donc il m’épargnait ses railleries, c’était pure courtoisie ou tactique habile, et je lui en voulais presque de ses ménagemens hypocrites : ils m’enlevaient l’occasion d’élargir encore l’abîme qui nous séparait, et de hâter le dénoûment que j’entrevoyais déjà au malaise de notre vie en commun. Cette existence eût été plus supportable, si, volontairement injuste, j’avais pu m’abaisser à me plaindre de Hugh Wyndham. Ma mère et son mari, dont j’aurais ainsi servi la violente irritation, n’eussent pas mieux demandé que d’embrasser ma cause, de se constituer mes champions. Unis dans un ressentiment commun, peut-être quelque sympathie se fût-elle établie entre nous; mais je n’avais ni rancune ni griefs en réalité à faire valoir. Pour l’être dont ils me disaient «la victime, » je n’avais qu’affection et reconnaissance; pour eux qui, en mon nom et à cause de moi, lui jetaient l’anathème, je n’éprouvais que répugnance et antipathie profonde.

Les journaux m’apprirent, au mois de mai, que le mariage des deux misses Glynne avait eu lieu le même jour. Rosa était devenue la femme de Hugh; sa sœur Louisa, celle du riche baronet sur l’appui duquel se fondaient les espérances du jeune ménage Wyndham. Devant le paragraphe du Morning-Post où ces noms m’apparurent, j’éprouvai comme un éblouissement et comme une vague espérance que la terre s’entrouvrirait pour m’engloutir. Ce ne fut pourtant qu’une sensation passagère, une angoisse de quelques minutes, dont je m’étonnai comme s’étonne un blessé dont le membre amputé vient à lui faire éprouver une douleur imprévue. Reportée, par cet événement décisif, aux calculs qui avaient mon avenir pour objet, je me demandai de nouveau à quel parti je m’arrêterais quand serait venu le mois de juillet, dont l’échéance allait me donner tous les droits attachés au coming of age , au titre odieux de « fille majeure. » Il va sans le dire que maintenant je ne regardais plus comme réalisables ces beaux rêves de «vie à trois » formés autrefois avec tant de candeur par Hugh Wyndham. Lui-même n’y songeait plus, j’en suis sûre. Quant à Godfrey, il gardait vis-à-vis de moi, depuis plus de deux ans, un silence si obstiné, que je n’osais faire fonds sur son appui, et que l’idée d’en réclamer le bénéfice ne prenait chez moi aucune consistance. Demander asile aux Halsey, me retirer chez mistress Wroughton, telles étaient les alternatives entre lesquelles mon esprit hésitait. Et parfois même, abattue, résignée, je me demandais s’il ne valait pas mieux accepter passivement la vie sans charme,