Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/578

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que annonce une œuvre nouvelle et précipitée. Sa longueur excède rarement trente pieds. Elle est large de vingt, haute de quinze. Ses murs, ainsi que le toit, sont formés de troncs d’arbres non équarris, entre lesquels on a placé de la mousse et de la terre pour empêcher le froid et la pluie de pénétrer dans l’intérieur de la maison. À mesure que le voyageur s’approche, la scène devient plus animée ; avertis par le bruit de ses pas, des enfans qui se roulaient dans les débris environnans se lèvent précipitamment, et fuient vers l’asile paternel comme effrayés à la vue d’un homme, tandis que deux gros chiens à demi sauvages, les oreilles droites et le museau allongé, sortent de la cabane et viennent en grondant couvrir la retraite de leurs jeunes maîtres. C’est alors que le pionnier paraît lui-même à la porte de sa demeure. Il jette un regard scrutateur sur le nouvel arrivant, fait signe à ses chiens de rentrer au logis, et lui-même se hâte de leur en donner l’exemple sans témoigner ni curiosité ni inquiétude.

Parvenu sur le seuil de la log-house, l’Européen ne peut s’empêcher de promener un œil étonné sur le spectacle qu’elle présente. Il n’y a en général à cette cabane qu’une seule fenêtre, à laquelle pend quelquefois un rideau de mousseline, car dans ces lieux, où il n’est pas rare de manquer du nécessaire, le superflu se trouve souvent. Sur le foyer de terre battue pétille un feu résineux qui, mieux que le jour, éclaire le dedans de l’édifice. Au-dessus de ce foyer rustique, on aperçoit des trophées de guerre ou de chasse : une longue carabine rayée, une peau de daim, des plumes d’aigle. À droite de la cheminée est étendue une carte des États-Unis que le vent, en s’introduisant par les interstices du mur, soulève et agite incessamment. Près d’elle, sur un rayon solitaire de planches mal équarries, sont placés quelques volumes dépareillés : là se rencontre une bible dont la piété de deux générations a déjà usé la couverture et les bords, un livre de prières, et parfois un chant de Milton ou une tragédie de Shakspeare. Le long du mur sont rangés quelques sièges grossiers, fruit de l’industrie du propriétaire ; des malles au lieu d’armoires, des instrumens d’agriculture et quelques échantillons de la récolte. Au centre de l’appartement s’élève une table boiteuse dont les pieds, encore garnis de feuillage, semblent avoir poussé d’eux-mêmes sur le sol qu’elle occupe. C’est là que la famille entière se réunit chaque jour pour prendre ses repas. On y voit encore une théière de porcelaine anglaise, des cuillers le plus souvent de bois, quelques tasses ébréchées et des journaux.

L’aspect du maître de cette demeure n’est pas moins remarquable que le lieu qui lui sert d’asile : des muscles anguleux, des membres effilés, font reconnaître au premier coup d’œil l’habitant de la Nouvelle-Angleterre. Cet homme n’est pas né dans la solitude où il ha-