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et le dévouement. Sans doute l’avocat quittant son étude, le négociant laissant son comptoir, l’artiste s’absentant de son atelier pour acquérir par de pénibles exercices militaires le moyen d’être utile à son pays en cas de danger, méritent notre respect et notre admiration. Que dire alors des ouvriers et des artisans qui, après dix ou douze heures d’un dur travail, rompent au métier des armes des membres déjà fatigués et bravent la bise glacée en sortant des antres de la vapeur ? L’un d’eux, qui travaille comme forgeron dans l’arsenal de Woolwich, me racontait avec une mâle fierté ce que lui avait coûté son uniforme de volontaire. Il ne parlait pas de l’argent, mais des privations qu’il s’était imposées, lui père de famille, pour ne point abandonner à d’autres le droit de mourir au besoin et avec fruit pour l’Angleterre. Un autre avait vendu sa montre pour s’équiper, et disait en riant que le bruit du canon suffirait bien à lui annoncer l’heure du danger. Jusqu’ici pourtant le mouvement s’est arrêté aux ouvriers des villes ; devra-t-il s’étendre, dans les campagnes, aux ouvriers de la terre ? Ici s’élèvent de sérieux obstacles. Le gouvernement anglais craint que la formation de corps rustiques de volontaires ne nuise au développement de la milice[1]. Quelques hommes d’état pensent au contraire que les deux institutions, loin de présenter entre elles un caractère d’antagonisme, se prêteraient appui l’une à l’autre. Ils disent que l’organisation des riflemen cultiverait dans les campagnes les goûts militaires et disposerait ainsi les rudes enfans de la charrue au métier des armes. Comme ce dernier système n’a point encore été mis à l’épreuve des faits, je m’abstiendrai de me prononcer sur la valeur des oppositions qu’il rencontre.

Aux compagnies d’ouvriers s’ajoutent maintenant de toutes parts des compagnies de cadets. À une distribution de prix pour un concours de riflemen qui avait eu lieu à Montrose, lord Elcho, parlant des moyens de perpétuer le mouvement, prit par la main un enfant en uniforme de rifleman qui se trouvait là par hasard, et le conduisant sur le devant de la tribune : « Voilà, dit-il, un des moyens ! » Plusieurs régimens de volontaires ont en effet eu l’idée de s’adjoindre un corps de cadets, qui se compose de jeunes garçons entre l’âge de douze et seize ans. Ces cadets paient environ 10 shillings 6 pence par an, portent l’uniforme, s’exercent à toutes les manœuvres, et forment pour ainsi dire les enfans de troupe dans l’armée volontaire. J’ai rencontré l’autre jour à l’hôpital de Greenwich une de ces brigades, les first Surrey juvenile rifles. Ayant obtenu la

  1. La loi exempte du service de la milice tous les volontaires effectifs, et il faut entendre par là ceux qui ont fait l’exercice huit jours dans quatre mois, ou vingt-quatre jours par an.