Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/532

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était difficile, — il aurait perdu au moins les deux tiers de son armée avant d’arriver à Londres, tandis que la mer, fermée derrière lui par les vaisseaux anglais, l’aurait empêché de recevoir des renforts, et même, en cas de succès, l’aurait emprisonné dans sa victoire. Napoléon lui-même a reconnu que ce projet présentait des obstacles au-dessus de la volonté humaine. « Si j’avais réussi, a-t-il dit plus tard, c’eût été en faisant tout le contraire de ce qu’on attendait. » La pensée de l’empereur s’est, on le voit, couverte sur ce point, et peut-être à dessein, d’un nuage que je ne chercherai point à pénétrer.

Telle est l’histoire des anciens volontaires, qui s’éteignirent après les événemens de 1815, laissant debout, comme trace de leur passage dans les comtés agricoles, quelques rares régimens de cavalerie ; mais ce sont surtout les volontaires de 1860 qu’on désire connaître. Avant de m’occuper d’eux, je dois indiquer les différences qui les séparent de l’autre génération. En 1798 et 1803, le mouvement des volontaires avait été suscité par les tories : la peur de l’invasion et l’esprit de défense nationale s’associaient chez eux à l’horreur des principes révolutionnaires, ou, comme on disait alors, du jacobinisme, que, par une étrange confusion d’idées, ils personnifiaient dans l’homme qui avait restauré en France une partie de l’ancien régime. L’organisation des riflemen de 1860 a au contraire pour base l’opinion libérale. Appuyés par tous les organes de l’opinion avancée, c’est au nom de la liberté qu’ils se sont formés, et en vue de l’ombre sinistre que projette, selon eux, le despotisme sur certains états de l’Europe. Leur but est que cette ombre ne passe pas les mers. Une telle opposition d’idées devait modifier le personnel des deux mouvemens. Tandis qu’au commencement de ce siècle les rangs des volontaires étaient surtout remplis par des marchands, de graves et pesans bourgeois de la Cité, les volontaires d’aujourd’hui appartiennent, du moins pour la plupart, à la classe des légistes, des docteurs, des artistes, des employés, des commis de boutique. C’est la jeunesse, c’est le sang nouveau qui se répand depuis un an dans les cadres de la nouvelle armée civile, et les hommes mûrs se tiennent généralement à l’écart. Au point de vue stratégique, cet état de choses ne constitue-t-il pas un avantage évident en faveur des modernes riflemen ! Les anciens volontaires étaient sans doute de bons pères de famille et d’honnêtes négocians ; mais il y a lieu de douter qu’ils fissent d’excellens soldats. Aussi, de l’avis de tous ceux qui ont vu les deux déploiemens de forces dans Hyde-Park, les volontaires passés en revue par la reine Victoria, quoique moins nombreux, laissent bien loin derrière eux, — sans toutefois les faire oublier, — les troupes citoyennes du roi George.