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Killala et cent à Ballina pour garder ces deux villes. Cependant le général anglais Lake, qui avait reçu la nouvelle du débarquement et de la marche des Français, les attendait près de Castlebar avec au moins dix-huit cents hommes d’infanterie et de cavalerie, dix pièces de canon et un obusier. L’action s’engagea au lever du soleil. La position des Français était extrêmement critique ; ils allaient combattre un ennemi très supérieur en nombre, et dans le cas de défaite la retraite sur Killala et sur Ballina se trouvait déjà coupée par deux corps d’armée, celui de sir Thomas Chapman et celui du général Taylord. Humbert pourtant ne craignit point d’entamer l’attaque, — l’une des plus audacieuses et des plus désespérées que jamais ait enregistrées l’histoire. Les Français restèrent maîtres du champ de bataille : toute l’artillerie de Lake tomba entre leurs mains, et les troupes anglaises se retirèrent dans la plus grande confusion. Lord Cornwallis, ayant appris le mouvement d’invasion et la défaite des Anglais à Castlebar, résolut de marcher en personne contre l’ennemi à la tête de toutes les troupes qu’il pourrait rassembler. Aussi Humbert, qui avançait toujours, essuyant çà et là diverses escarmouches où il remportait constamment l’avantage, se trouva-t-il le 8 septembre 1798, dans les plaines de Ballynamuck, enveloppé par 25,000 hommes. Avec un sang-froid extraordinaire, il forma sa petite armée en ordre de bataille. Son arrière-garde, attaquée par les forces de Crawford, se rendit ; mais le reste des Français se défendit pendant une demi-heure et chercha même à faire des prisonniers ; enfin, écrasés par le nombre, accablés, non vaincus, les soldats de la république déposèrent les armes. Ils avaient perdu environ 200 hommes depuis leur arrivée en Irlande. Cette hasardeuse entreprise, dont le succès n’avait été interrompu que par des circonstances défavorables et par d’imposantes forces militaires lentement réunies, jeta une sorte de consternation dans le pays. On se demanda ce que l’Angleterre n’avait point à craindre de son gouvernement et de son armée, si une poignée d’envahisseurs avait pu mettre en déroute des troupes d’élite, prendre différentes villes, s’avancer à plus de cent vingt milles anglais dans l’intérieur du pays et se maintenir pendant dix-sept jours, les armes à la main, dans un royaume qui comptait alors plus de 150,000 soldats.

La nation anglaise n’avait d’ailleurs pas attendu cet événement pour aviser elle-même aux moyens de défense. Dès 1777, après la reddition de Burgoyne à Saratoga, une grande agitation s’était répandue dans le pays, qui avait proposé de venir en aide à la couronne en lui fournissant des troupes. Manchester et Liverpool avaient dès lors formé chacun un régiment de 1,000 hommes. Dans quelques autres villes et jusque dans les campagnes, des meetings avaient suggéré l’idée d’une levée en masse. À Londres pourtant et