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son, l’idéal dans l’art et dans la vie, c’est la splendeur du vrai. L’Opéra vient de rappeler à lui une cantatrice nomade qui lui a déjà appartenu à deux reprises différentes, en 1851 et en 1856 : je veux parler de Mme Tedesco, grande et belle personne, moitié allemande et moitié italienne, et qui possède une voix riche, égale, étendue et forte de mezzo-soprano qui peut monter jusqu’à l’ut supérieur et descendre jusqu’au la au-dessous de la portée. Elle a fait son apparition le 12 octobre, dans le Prophète, par le rôle énergique et original de Fidès. Mme Tedesco est une cantatrice placide et de bonne humeur, qui ne s’emporte jamais, qui conserve religieusement sa santé et sa belle voix, qui est presque aussi fraîche qu’il y a dix ans. Il ne lui manque, pour être une cantatrice dramatique, que ce qui manquait au cheval de Roland, un certo non so che, qu’on appelle une âme, un esprit, un souffle, comme dans la Bible. Elle a été faible dans la belle scène de l’église, au quatrième acte, et elle a beau pleurer toutes les larmes de ses beaux yeux : on ne s’en attriste jamais, tant on est sûr que cela ne lui fera pas de mal. Après Fidès, Mme Tedesco a chanté la Favorite avec un peu plus d’émotion, mais sans excès toutefois, et en conservant un maintien qui fait honneur à ses bonnes mœurs. A la fin de l’andante de l’air ô mon Fernand, Mme Tedesco a ajouté un point d’orgue si brillant et si joyeux, qu’on a pu immédiatement se rassurer sur l’état de son cœur. De si monstrueux contre-sens sont très appréciés par le public de l’Opéra, qui croit pourtant assister à la représentation d’une tragédie lyrique! M. Michot fait des progrès, et sa voix de vrai ténor convient au rôle de Fernand, qu’il chante avec passion. Il a dit la romance du quatrième acte, Ange si pur, avec goût et dans le style de demi-caractère qui sied à son genre de talent. L’Opéra nous prépare bien des choses nouvelles, et l’avenir appartient à M. Wagner, dont on répète le Tannhauser. Que la volonté des puissans de la terre s’accomplisse donc !

Au théâtre de l’Opéra-Comique, les choses et les hommes marchent paisiblement et sans faire beaucoup de bruit. Le Chaperon rouge de Boïeldieu, les Diamans de la couronne de M. Auber, escortés de deux ou trois opérettes dont la musique n’est qu’un accessoire du libretto, voilà à peu près de quoi se compose le courant du répertoire. Une idée singulière a passé par l’esprit de l’administration, c’est de reprendre le Pardon de Ploërmel avec un nouveau personnel, dans lequel une femme sans grâce et sans beaucoup de talent a pris le rôle d’Hoël, créé dans l’origine par M. Faure. Je n’ai jamais pu comprendre l’engouement qu’inspire à certaines personnes la voix dure et déclassée de Mlle Wertheimber, dont la prononciation vicieuse et empâtée n’ajoute pas à l’agrément qu’on éprouve à lui entendre estropier un rôle qui n’a pas été écrit pour son sexe. Comment expliquer que Meyerbeer ait permis une telle mascarade? Il en sera puni, car son ouvrage, qui se recommande surtout par les effets d’ensemble, perd beaucoup de son piquant à être interprété ainsi par une voix de bois qui appauvrit l’harmonie et laisse l’oreille en souffrance. Mlle Monrose, qui a succédé à Mme Cabel dans le rôle de Dinorah, y a été plus gracieuse que forte, et a laissé à désirer un peu plus d’entrain, de brio et de folle jeunesse, particulièrement au second acte, dans la scène de fantaisie nocturne. Quant au nouveau mor-