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moment même où, de l’avis commun, les chances de la paix se sont notablement accrues. Les trois faits récens qui ont porté au crédit de la paix des résultats significatifs sont la manifestation annuelle de la vieille municipalité de Londres dont nous venons de parler, l’entrevue de Varsovie et la dépêche de lord John Russell à propos des plus récentes annexions opérées par le Piémont.

Le peu d’éclaircissemens qui a été donné sur l’entrevue de Varsovie a confirmé le sens que nous avions attaché au caractère et aux effets de cet acte. La Russie s’y est conduite à la satisfaction de la France et par les conseils de patience qu’elle a dû donner à l’Autriche, et par le désintéressement qu’elle paraît avoir montré par rapport à la question d’Orient. Au surplus, on a parlé d’une lettre adressée par l’empereur au tsar, qui, après les événemens que l’on avait laissé s’accomplir en Italie, et en présence des intentions évidentes des puissances du Nord, ne pouvait que consolider la conclusion pacifique du congrès de Varsovie. Le terrain choisi par l’empereur dans cette lettre était, à ce qu’il paraît, le principe de non-intervention. Ce principe, la France l’aurait défendu contre l’Autriche, si l’Autriche avait attaqué le Piémont ; elle l’aurait également maintenu à l’égard du Piémont, si l’agression fût venue de l’Italie. Dans cette hypothèse, la France n’aurait revendiqué au profit du Piémont, la fortune des armes étant contraire à celui-ci, que les avantages garantis par le traité de Zurich. Dans cette application du traité de Zurich, il y avait un double veto opposé aux projets de guerre qu’eussent pu nourrir les deux antagonistes, et il nous semble qu’il est permis de compter longtemps encore sur l’efficacité de ce veto.

L’Angleterre a, elle aussi, à sa façon lancé entre les deux camps la même interdiction de guerre. On se souvient de la dépêche du 31 août dernier, dans laquelle lord John Russell défendait en termes fort durs à M. de Cavour toute tentative d’attaque contre la Vénétie. Lord John Russell vient d’écrire la contre-partie de cette dépêche dans sa note du 27 octobre, où il s’est chargé de présenter au monde l’apologie de l’entreprise du Piémont dans les États-Romains et dans le royaume de Naples. Cette fois c’est M. de Cavour qui est couvert par lord John d’un bouclier moral très bizarre dans la forme, mais au fond très efficace. Comment l’Autriche aurait-elle pu faire la guerre au Piémont pour réprimer une entreprise si solennellement réhabilitée par l’Angleterre ? La forme de ce document est, disons-nous, fort bizarre. Dans le ton tranchant et dégagé, dans le dédain de tout ménagement pour les opinions dominantes parmi la diplomatie européenne, dans le souvenir si curieusement invoqué du précédent de la révolution de 1688, se révèle l’idiosyncrasie de lord John. C’est bien là le whig de la révolution, le petit-neveu de lord Russell le martyr. Ne dirait-on pas que ce grand lord Russell a été envoyé à l’échafaud par Ferdinand de Bourbon et non par Charles Stuart ? Une fois lancé dans les souvenirs traditionnels de sa race, ne demandez plus à lord John de raisonner juste, de mettre sa dépêche du