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veu en sa bonne grâce et amour, promettant de le secourir, ayder et deffendre à jamais envers tous ceulx qui peuvent vivre et mourir sans nul excepter[1]. »

La mémoire se lasse à suivre ces évolutions aussi rapides que la pensée et qu’on s’efforcerait presque toujours vainement d’expliquer par des motifs politiques. C’est à d’autres causes en effet qu’il faut le plus souvent les rapporter. Durant la première partie de son règne, l’esprit incertain du duc de Bretagne fut ballotté entre des influences contraires. La plus prépondérante était exercée par Antoinette de Maignelais, dame de Villequier, qui, après avoir succédé dans la faveur de Charles VII à sa tante Agnès Sorel, était venue essayer sur le voluptueux François II l’empire de sa beauté facile et de son esprit enjoué. Ennemie prononcée de Louis XI au début de sa faveur, elle avait fini par passer aux gages du roi de France, qui, avec une pension de six mille francs, lui avait octroyé l’île d’Oléron et les seigneuries de Montmorillon et de Chollet. La maîtresse en titre du duc de Bretagne faisait valoir auprès de celui-ci l’avantage de demeurer en paix avec le suzerain et de laisser reposer les peuples après de longues agitations. Ce système était développé plus spécieusement encore par l’un de ces aventuriers que les hasards d’une destinée toujours heureuse avaient conduit à la cour de Nantes. Odet d’Aïdie, sieur de L’Escun, gentillâtre des marches de la Gascogne et du Béarn, était « si pauvre de son estoc qu’il n’avoit de sa part une seule maison pour se retirer, mais fort adextre, bon homme d’armée, très entrant, bien parlant et hardi avec les princes et seigneurs[2]. » Après avoir été le conseiller le plus écouté du jeune frère de Louis XI, L’Escun était devenu l’un des agens secrets les plus utiles au roi; c’était en Bretagne que celui-ci l’employait alors à paralyser des conseils dont il connaissait fort bien la source et dont il redoutait l’effet, et Comines, aussi respectueux que pourrait l’être un historien d’aujourd’hui pour la souplesse et pour le succès, nous a laissé, avec une sorte d’apologie du comte de Comminges, le tarif exact des services de cet homme, auquel n’allait manquer aucune grandeur[3].

Tels étaient à la cour de Bretagne les deux soutiens principaux de la faction française. Celle-ci se trouvait représentée dans le mi-nistère-

  1. Traité de Senlis du 9 octobre 1475. — Preuves de l’Histoire de Bretagne de dom Morice, t. II, c. 287.
  2. Jaligny, Histoire de Charles VIII.
  3. « A la fin se délibéra le roy d’avoir paix du côté de Bretaigne et de tout donner au seigneur de L’Escun, qu’il le retireroit à son service et lui ôteroit l’envie de luy pourchasser mal, pour autant qu’il n’y avoit ny sens ny vertu en Bretaigne que ce qui procédoit de lui. Un si puissant duc manié par un tel homme étoit à craindre; mais qu’il eust fait avec lui et les Bretons tascheroient à vivre en paix... Pour toutes ces raisons, il dit à Soubs-Pleuville qu’il mît par escript tout ce que le seigneur de L’Escun, son maître, demandoit tant pour le duc que pour lui, ce qu’il fit, et tout lui accorda notre roy. Et furent ses demandes : quatre-vingt mille francs de pension pour le duc; pour son maître six mille francs de pension, le gouvernement de Guyenne, deux sénéchaussées, la capitainerie de l’un des châteaux de Bordeaux, la capitainerie de Blaye, des deux châteaux de Bayonne, de Dax et de Saint-Sever, vingt et quatre mille écus d’or comptans avec l’ordre du roi et la comté de Comminges. Tout fut accordé et accompli. » liv. III, ch. 11.