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de l’Italie de dire que, quoi qu’il arrive, Rome décline en devenant la capitale d’un état après avoir été la capitale du monde. Elle ne régnait plus sur le monde politique, mais elle régnait sur le monde religieux, et cet empire n’était pas moins grand pour être moins tyrannique. J’espère ne pas être parmi les fétichistes du passé; je crois cependant que l’avenir aura fort à faire pour résoudre aussi bien que l’avait fait le passé le problème suivant : mettre à Rome un pouvoir qui soit universel sans avoir la force matérielle.

J’expose mes scrupules à l’auteur de la brochure de Rome et Constantinople. L’universalité de Rome n’a plus de cause et de droit, si Rome n’a plus la papauté. — Mais, dit l’auteur, je n’ôte pas le pape à Rome, je l’y laisse; seulement Rome ne sera plus l’état et la capitale du pape, elle sera toujours sa résidence. — Si le pape n’est plus que logé à Rome, qui vous dit qu’il voudra y rester? Vous reconnaissez que l’universalité de Rome tient à la présence du pape; mais vous ne prouvez pas que l’universalité du pape tient à sa résidence dans Rome. Il peut transporter partout ailleurs le caractère d’universalité qui tient à son pouvoir spirituel. Vous aurez beau décider, au nom de l’histoire, que Rome est une ville européenne et libre, qu’elle ne peut appartenir à personne[1] : cette ville ne peut avoir le caractère que vous voulez lui conserver de n’appartenir à personne que si elle appartient à la papauté. Otez-lui ce propriétaire mystérieux qui n’a ce qu’il possède que pour l’approprier à tout le monde, pourquoi Rome ne serait-elle pas à l’Italie? pourquoi ne serait-elle pas une capitale du quatrième ou du cinquième ordre? pourquoi ne serait-elle pas aux Romains et ne serait-elle pas une municipalité? Vous la donnez à l’Europe; mais que voulez-vous que l’Europe en fasse, une fois le pape sorti du Vatican? Rome n’a que des causes morales de grandeur, et c’est l’avenir seul qui décidera si ces causes morales de grandeur tiennent, oui ou non, à la présence du pape.

Je crains qu’en comparant Rome à Constantinople, l’auteur de la brochure n’ait été trop aisément séduit par la grandeur des deux noms rapprochés. La grandeur de Rome et celle de Constantinople ont des causes toutes différentes: Rome n’est qu’un sanctuaire, Constantinople est une grande position maritime et militaire. Le sultan peut quitter Constantinople ; nous sommes sûrs qu’il n’emportera avec lui aucune des causes de l’universalité de Constantinople. L’Europe peut donc décréter avec confiance que Constantinople sera une ville européenne et libre, qui n’appartient à personne : cette ville a une grandeur qu’elle est en mesure de garder tant qu’elle a son port et son Bosphore. Si l’Europe au contraire, enlevant au pape la

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