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part à chacune. Avec ce respect scrupuleux des nationalités, M. Rattos a pensé sans doute que son plan réussirait aisément de nos jours, oïl le principe des nationalités paraît être en grande faveur. Je lui prédis cependant que son plan sera froidement accueilli : il n’y a rien là qui s’adresse à l’esprit d’annexion et d’unité, esprit qui s’est empressé d’arriver au jour pour faire concurrence au principe de la nationalité et pour l’asservir, sous prétexte de l’aider.

La brochure intitulée Rome et Constantinople tient à la fois des deux esprits qui ont inspiré les diverses publications que j’ai indiquées, l’esprit de théorie et l’esprit de pratique. Elle penche même plus, au premier coup d’œil, vers la théorie que vers la pratique. Tout ce que dit l’auteur du caractère européen plutôt que national de Rome et de Constantinople, de la destinée plutôt universelle que particulière qu’elles ont eue et qu’elles doivent avoir, tout cela me paraît vrai et élevé. Mais Rome, dit-on, ne doit plus être une ville universelle, elle ne doit plus être qu’une ville italienne, la capitale, il est vrai, de l’Italie, assujettie aux chances de force ou de faiblesse qu’aura l’Italie dans le monde. L’auteur a beau définir d’après l’histoire la destinée de Rome et de Constantinople, il a beau s’écrier éloquemment : « Qu’une nation ne vienne pas nous dire : Ces cités saintes, ces cités mères, je les confisque; elles n’appartiennent qu’à moi. — Non! cela n’est pas possible : nous avons reçu tous le droit de cité; nous le revendiquons. Ces villes sont le patrimoine du genre humain[1]. » Voilà de belles paroles et même des pensées fort justes; mais qui toucheront-elles? Ce qui empêche d’ailleurs qu’elles ne me touchent moi-même autant que je le voudrais, c’est que l’auteur, par je ne sais quel penchant d’opinion que je ne comprends pas bien, sépare l’universalité de Rome de l’universalité de la papauté. Il ne croit pas que la ville universelle ait besoin d’être le siège d’un gouvernement universel. Il lui attribue l’universalité au nom de l’histoire, c’est-à-dire au nom du passé, et il croit que les souvenirs suffisent pour créer à Rome une destinée universelle. J’ai des doutes sur ce point. Il y a longtemps que Rome ne serait plus une ville universelle, si Rome n’avait pas été le siège de la papauté, si son universalité religieuse n’avait pas perpétué son universalité politique, si le présent n’avait pas vivifié le passé. Faute d’un pouvoir universel siégeant dans ses murs, Jérusalem est restée avec ses souvenirs et ses ruines. Tel eût été le sort de Rome, si elle ne fût pas devenue la capitale du monde chrétien. La grandeur historique de Rome ne suffit pas à sa vie présente. Elle peut, en devenant la capitale de l’Italie, être une grande ville encore, si l’Italie est grande. Ce n’est pas cependant manquer de respect à l’avenir

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