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mer d’Azof; suivez la côte européenne : toutes les eaux vont à l’est et au sud, toutes les pentes regardent l’Asie. Toute cette Europe est moitié dans l’Asie, soit que vous considériez son histoire, son climat ou son commerce. C’est du côté de l’Asie que sont tous ses penchans naturels. Maintenant prenez l’Asie depuis la pointe la plus occidentale du Caucase, et descendez au sud-ouest à travers la mer d’Azof, la Mer-Noire, le Bosphore, la mer de Marmara, l’Hellespont, l’Archipel et la mer de Syrie ; suivez la côte de l’Asie : toutes les eaux vont à l’ouest et au nord, toutes les pentes regardent l’Europe. Toute cette Asie-Mineure est moitié dans l’Europe, soit que vous considériez son histoire, son climat ou son commerce. C’est du côté de l’Europe que sont tous ses penchans naturels. Prenez l’Egypte elle-même; son fleuve la conduit vers l’Europe, son histoire l’y rattache depuis l’antiquité jusqu’à nos jours. Suivez la côte de l’est à l’ouest et arrivez dans l’Afrique septentrionale : même penchant géographique vers l’Europe, mêmes rapports et mêmes liens historiques.

Cette Europe moitié asiatique et cette Asie moitié européenne sont le théâtre naturel de la question d’Orient. C’est là que de tout temps se sont rencontrés les deux mondes différens, celui de l’Orient et celui de l’Occident; c’est là qu’ils ont lutté l’un contre l’autre, c’est là aussi qu’ils se sont rapprochés et unis, c’est là que sont nés et que se sont développés les peuples destinés à servir de liens entre les deux mondes, les Grecs, les Slaves, les Arméniens, races souples et habiles dont l’indépendance et la prospérité sont nécessaires à la paix du monde. Quand ces races intermédiaires entre l’Orient et l’Occident fleurissent, heureuses et libres, dans ces contrées, intermédiaires aussi entre l’Orient et l’Occident, pour lesquelles Dieu les a faites, ou qu’il a faites pour elles, alors les deux mondes se rapprochent et s’unissent au lieu de se heurter, alors il n’y a pas de question d’Orient. Tel a été l’état du monde ancien depuis Alexandre jusqu’à Mahomet. L’Europe asiatique et l’Asie européenne appartenaient à une des races intermédiaires, à la race grecque, bien plus européenne qu’asiatique, grâce à Dieu, assez asiatique cependant pour pouvoir posséder l’Orient, sans que cette domination soit un contre-sens et par conséquent quelque chose d’éphémère. Jusqu’à Mahomet, la civilisation européenne, plus ou moins bien associée et unie à la civilisation orientale, a régné sans opposition et sans révolte dans les contrées intermédiaires. Ce n’est qu’avec Mahomet que l’extrême Orient a commencé à prendre sa revanche. Les Arabes se sont avancés d’une part jusqu’au Bosphore, et de l’autre jusqu’à Poitiers. L’affaiblissement de l’empire grec a fait alors renaître la question d’Orient, amortie depuis plus de mille ans. Les races intermédiaires s’effacent, les races contraires sont aux prises. Aux in-