Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

côte à côte le jeune Constantin et Constance, Jovien, Valentinien, Gratien; Théodose y fit enterrer ses deux femmes, Flaccille et Galla, et marqua la place qu’il voulait occuper près d’elles. C’est là enfin qu’il fut inhumé lui-même, le 19 novembre 395, en présence d’Arcadius et avec un cérémonial qui rappela celui de Milan. Par une étrange aventure, le convoi avait failli se croiser sur la route de Thrace avec les troupes que Gaïnas ramenait de Thessalie : seize jours plus tard, le cercueil de Théodose aurait fait son entrée dans sa ville impériale escorté par le général et par l’armée qui venaient égorger son ministre.

Au milieu de ces préoccupations diverses, Rufin ne perdait pas son temps, ou du moins il croyait le bien employer en intrigues et en corruptions de tout genre. La tourbe malfaisante de ses amis était à l’ouvrage, semant l’argent et les promesses, et achetant des partisans dans la dernière classe du peuple ou dans les derniers rangs de l’armée. L’officier de recrutement en garnison à Constantinople se laissa gagner et gagna ses recrues : ce furent ces paysans à peine dégrossis qui durent remplir l’office de prétoriens et affubler Rufin du manteau impérial dans la solennité de l’adoption. Gaïnas le sut, et n’en devint que plus irrité. Gardant toujours les apparences d’une demi-complicité, il souffrait que les agens du ministre vinssent solliciter sous ses yeux les officiers qu’ils connaissaient, et ceux-ci imitaient la dissimulation de leur chef. Au reste toutes les mesures que Rufin croyait secrètes étaient épiées, découvertes, contre-minées aussitôt par l’eunuque Eutrope, qui entra si pleinement et si franchement dans les projets de Gaïnas, qu’on put, après la réussite, lui en attribuer presque tout l’honneur. Eutrope, de son côté, mettait le jeune empereur au courant des choses; bien plus, si l’on en croit quelques mots des contemporains, il lui ménagea une entrevue avec Gaïnas. Rufin avait fixé pour sa proclamation le jour de l’entrée des légions à Constantinople, et ce jour approchait. Il lui fallut donc faire à son pupille confidence de ce qui se préparait, et lui demander son consentement. Il le fit, en s’excusant sur la volonté du peuple et de l’armée. « L’empire, lui disait-il, était une récompense due à ses longs travaux, et que Théodose même lui destinait; comment pourrait-il le refuser sans honte, quand le vœu public le lui imposait? Toutefois il préférait le tenir des mains d’un jeune prince qui connaissait ses services et avait encore besoin de conseil et d’appui. Rufin, simple ministre, lui avait rendu d’un mot légions et trésor; que ne ferait-il pas quand il aurait le droit de parler et d’agir en son nom! Arcadius verrait bientôt à ses pieds Stilicon, le sénat de Rome, l’armée d’Occident, et les ennemis du dedans comme ceux du dehors. » Arcadius parut apprendre toutes