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Lombards au parlement de Turin? C’est ici que les inquiétudes se manifestent. J’entends dire que les Lombards sont ingouvernables, que depuis nombre de siècles ils ont toujours appartenu à des maîtres étrangers, Français, Espagnols, Allemands, parce qu’ils n’ont jamais su montrer dans la conduite de la nation la sagesse qu’ils apportaient à leurs affaires municipales; qu’ils ont le caractère irritable, porté aux extrêmes, tourné vers tous ceux qui leur promettent un changement; qu’à peine entrés dans la chambre du nouveau royaume, ils la troublent de leurs querelles et de leur opposition. Je répète ces accusations parce que je les ai entendues; mais, pour toute réponse, je prie qu’on se reporte au tableau que j’ai tracé plus haut du peuple lombard. Par quel inexplicable vertige cette nation de petits propriétaires, menant si paisiblement une vie facile, irait-elle se jeter dans le tourbillon de la démagogie? La nation, ainsi que nous l’avons montré en peignant sa vie civile, est si unie, si compacte qu’on n’y distingue pas, à vrai dire, de partis politiques. Comment a-t-on pu s’imaginer qu’elle était en proie aux dissensions? On chercherait en vain dans toute l’Europe un peuple qui soit plus naturellement prédisposé à jouir du régime constitutionnel. Comment a-t-on pu croire qu’ils allaient du premier coup troubler le jeu des institutions piémontaises? Que ceux qui sont inquiets se rassurent donc! Le sentimentalisme politique, après avoir donné l’indépendance aux Lombards, ne gênera pas leur vie pratique. Leur grand théoricien, M. Jacini, qui avait, comme nous l’avons vu, fait appel à ce sentimentalisme avant la bataille, se hâte de lui ôter, après le triomphe, la direction des affaires. « Appelé (le sentiment) à intervenir dans les détails des choses publiques et à les régler, il ne pourra engendrer que les opinions les plus discordantes et les plus capricieuses. » Que si on accuse les Lombards d’être enclins à exagérer les doctrines sociales, voici ce que répond un de leurs publicistes les plus accrédités : « Les Lombards possèdent généralement deux facultés ou tendances très distinctes entre elles, la tendance poétique et l’esprit pratique. Chez eux, ces deux manières d’être ne se confondent pas et n’empiètent pas l’une sur l’autre. Le poète, fùt-il lyrique, est poète quand il s’agit de poétiser; mais, descendu du trépied, c’est un homme de bon sens, qui administre prosaïquement ses biens, s’il en a, qui sait faire des comptes, et qui ne dédaigne pas ce qu’il y a de positif dans les sciences et dans la vie. En parlant, le Lombard donnera cours à son imagination et préconisera les théories les plus étranges, les plus hardies. Mettez-le à l’essai, demandez-lui laquelle de ces théories il voudrait mettre en pratique : il vous demandera si vous le croyez fou, et il se montrera plus conservateur que beaucoup de prosateurs d’outre-mont. » Notez