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cercueil avait été muni à l’avance de clous destinés à retenir la couronne. — Partout et toujours nous retrouvons des fleurs. Un service anniversaire est célébré à l’église de San-Fedele à Milan en mémoire de Manin. Les Vénitiennes y envoient un énorme bouquet tricolore, et après la cérémonie funèbre les dames de Milan vont tour à tour baiser ces fleurs.

J’ai insisté longuement sur le patriotisme des femmes lombardes. Ce n’est point dans tous les pays que l’homme trouve au foyer domestique et dans le commerce des femmes une excitation à se dévouer pour la patrie. Ailleurs l’homme ne rencontre souvent dans sa maison que des leçons de prudence et d’abstention. Ici on a vu une mère, qui avait perdu deux fils dans la guerre de 1859, amener le troisième, encore bien jeune, à Garibaldi partant pour la Sicile.

Le sentiment national anime seul les arts en Lombardie. La peinture, la sculpture même, cet art essentiellement italien, bien négligées toutes deux et déchues maintenant, ne retrouvent quelque vie que pour représenter les combats de l’indépendance ou reproduire les traits des trois hommes dans lesquels s’est incarnée l’idée de l’unité italienne, le roi Victor-Emmanuel, le comte de Cavour et le général Garibaldi. La littérature dramatique, presque retombée en enfance, réduite à imiter ou à traduire les pièces françaises, fait cependant entendre quelques accens vigoureux quand elle touche la fibre nationale. On a joué cette année à Milan un beau drame sur les carbonari de 1821. Les figures de Confalonieri, de Silvio Pellico, de Maroncelli, y sont belles et émouvantes. L’action se déroule simple, sans incidens. Tout l’intérêt est dans la marche que suit le procès fait aux conspirateurs. Des mots heureux s’y rencontrent. La comtesse Confalonieri est venue dans le-cabinet du juge d’instruction pour avoir des nouvelles de son mari. Par mégarde elle s’assied sur un des sièges réservés aux accusés, « Madame, lui dit le magistrat, vous prenez le siège des accusés. — C’est, répond-elle, le plus honorable que je connaisse ici. » Ailleurs les accusés sont ensemble devant le juge. Celui-ci les interroge. Il s’adresse à Maroncelli, ancien prote d’imprimerie, qui est chargé du rôle jovial : « Etes-vous disposé, dit-il, à faire connaître vos complices? — Je les ferai connaître. (Mouvement d’indignation chez Confalonieri et Silvio Pellico.) Je les ferai connaître, mais il vous faudra de la patience. — J’en aurai, dit le magistrat. — Il vous faudra beaucoup de patience ; mes complices sont au nombre de vingt-cinq millions. »

Nous arrivons maintenant au point le plus délicat de la question. Le sentiment national a réussi à chasser les Autrichiens ; il faut aujourd’hui profiter de la victoire et affermir la liberté. Que feront les