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Les municipalités lombardes firent une guerre sourde à la domination autrichienne. Celles des villes mêmes, quoique soumises à la pression directe de l’autorité centrale, protestèrent plus d’une fois contre la tyrannie de l’Autriche. Nous en citerons un exemple. Une petite émeute eut lieu à Milan au mois d’août 1849. Au moment où Venise épuisée se rendait, une courtisane de Milan, liée avec des officiers autrichiens, eut l’idée de célébrer cet événement en arborant à son balcon un drapeau jaune et noir. La foule ameutée siffla le drapeau. Des arrestations furent faites. Vingt personnes furent condamnées à la bastonnade, et parmi elles deux jeunes femmes de vingt et dix-huit ans, la première à quarante coups de verges, la seconde à trente. L’exécution eut lieu publiquement sur la place Castello, excepté pour les femmes, qui subirent leur peine privatamente, c’est-à-dire devant les délégués de la police. Ce n’est pas tout cependant : on fit payer les frais de la bastonnade à la commune de Milan; l’état en existe dans les archives[1]. Bâtonner les gens, passe encore; mais leur faire payer les bâtons! La commune paya, car il n’y avait rien à faire contre la force; mais elle saisit la première occasion qui se présenta de protester contre cette plaisanterie cruelle. Radetzky étant mort, la municipalité, invitée aux funérailles du maréchal, tira de ses cartons le reçu des 22 florins, et répondit qu’elle n’irait pas à l’enterrement de celui qui avait prescrit de si odieuses mesures. Elle tint bon, quoique le lieutenant-maréchal Burger la menaçât d’un procès de haute trahison. Or on sait que, sous l’Autriche, les procès de haute trahison menaient loin.

Ceux qui, à l’époque de la dernière guerre, ont vu à l’œuvre les municipalités de la Lombardie ont été frappés de leur énergie et de leur autorité. Partout elles avaient pris résolument les pouvoirs les plus étendus. A leur voix, les ressources du pays sortaient de terre : chevaux, voitures, fourrages, vivres, travailleurs. Quand les Autrichiens quittèrent Milan le 5 juin 1859, le municipe de cette ville devint un pouvoir politique auquel toute la Lombardie obéit d’un consentement tacite. Pendant plusieurs mois, ce fut la seule autorité du pays. Tardivement arriva un gouverneur piémontais qui n’eut

  1. « Note des dépenses faites par suite de la peine de la bastonnade appliquée aux personnes civiles arrêtées le 23 août 1849, dépenses qui doivent être acquittées par la commune de Milan : frais des pansemens prescrits par le médecin suivant le compte n° 1 ci-annexé, 2 florins et 16 kreutzers; — vinaigre et glace employés pour les blessés suivant le compte annexé n° 2, 3 florins 1 kreutzer et un cinquième; — payé aux six soldats qui ont servi d’infirmiers pour les personnes civiles bâtonnées, 4 florins; — pour soixante bâtons employés à l’usage susdit, à 8 kreutzers l’un, 8 florins; — item quarante bâtons pour coups appliqués à des personnes civiles le 15, le 17 et le 23 juillet, et dépenses à ce relatives, 5 florins et 20 kreutzers : soit en tout 22 florins, dont quittance, etc.