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cause par la communauté des forfaits, et attendant une part dans les dépouilles de l’état quand le maître serait césar. Rufin aborda l’assemblée dans la fière attitude d’un triomphateur, l’œil caressant et la tête renversée en arrière. « La victoire est à moi, leur dit-il dans une harangue préparée; Stilicon fuit, un geste a suffi pour le chasser; que ne ferais-je pas maintenant qu’une armée dévouée m’arrive? Comment tiendrait-il contre mes armes, lui qui n’a pu me vaincre quand j’étais désarmé? » Et, par une figure de rhétorique, apostrophant son rival absent : « Stilicon, s’écria-t-il, va, si tu veux, méditer ma perte dans les pays lointains, pourvu qu’un continent nous sépare et que la mer mugisse entre nous. Tant qu’un souffle de vie me restera, tu ne repasseras pas les Alpes! Fais choix maintenant d’une épée bien longue si tu prétends m’atteindre ici. » Cette plaisanterie, qui ne nous donne guère l’idée du sel attique de ses bons mots, excita sans doute l’enthousiasme de l’auditoire; on le salua du nom de prince, et, lui-même, rentré dans sa chambre, s’endormit, bercé par les plus douces espérances.

On raconte qu’un songe alors le transporta dans la plaine de l’Hebdomon, où se faisait la proclamation des empereurs. Un trône était disposé sur le tribunal de marbre, et tout autour s’agitait une foule tumultueuse, appelant Rufin à grands cris... Il accourait le cœur joyeux, le sein haletant ; mais des ombres se dressaient comme une barrière entre cette foule et lui, et il reconnaissait ses victimes. « Allons, tu vas être grand, lui disait une d’entre elles avec un rire sinistre, que tardes-tu, Rufin? Le peuple se disputera l’honneur de te porter, et ta tête planera sur toutes les têtes.» Ces figures, ce ton, ces paroles ambiguës le préoccupèrent vivement à son réveil; mais il eut beau chercher une explication à son rêve, il ne la put trouver que favorable. L’idée ne lui vint pas que, sans être élevée sur un trône, sa tête pouvait dépasser les autres de la longueur d’une lance.


III.

Du haut de son lit funéraire ou du fond de son cercueil. Théodose put assister à cette dissolution de sa famille et de son empire, car son corps resta plus de six mois en dépôt à Milan. Tantôt le tombeau qu’on lui préparait à Constantinople n’était pas en état de le recevoir, tantôt les dispositions n’étaient pas prises ou la saison ne convenait pas pour un si long voyage : ses fils avaient bien d’autres soucis que celui de la sépulture paternelle !

Dans la Rome des premiers empereurs, polythéiste et démocratique malgré la forme de son gouvernement, les funérailles impériales avaient été des apothéoses, et en effet, l’apothéose des césars