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qu’ils craignaient de commettre un sacrilège en y portant la main. Ils laissaient à des Romains le soin de l’avilir. »

Parmi tant d’hommes qui avilissent le trône, s’il en est un qui s’efforce de le relever, il est condamné d’avance à une défaite inévitable. C’est une lutte impossible que sa destinée lui impose, et des pensées de désespoir se mêleront sans cesse à l’enthousiasme qui l’anime; de là une physionomie changeante, incertaine, qui s’effacera d’elle-même sur les tablettes de l’histoire. Faire comprendre le caractère d’Anthémius n’était pas chose facile; il me semble que M. Amédée Thierry, sans enlever à cette figure l’indécision générale qui lui est propre, lui a rendu sa vie et sa noblesse. Derrière ce voile qui le recouvre, il y a un homme dont le cœur a battu, un homme qui a tenté de grandes choses et s’est exposé par devoir aux outrages de la destinée. Noble, fier, jaloux de la gloire romaine, mais emporté comme un Gaulois d’Asie (sa famille, alliée de Constantin, était d’origine galate), incapable de modérer ses paroles et de dissimuler ses soupçons, Anthémius avait affaire au fourbe le plus ténébreux et le plus persévérant. Singulier spectacle que cette lutte d’Anthémius et de Ricimer ! La violence, une violence généreuse et loyale, était du côté de l’homme civilisé ; la froideur, le mensonge, tous les raffinemens de la politique, étaient les armes du Barbare. Il y a du Machiavel chez ce Suève du Ve siècle; seulement imaginez un Machiavel qui tient la moitié du monde dans sa main et qui peut accomplir des perfidies véritablement grandioses. Les hautes pensées d’Anthémius, déjouées par les intrigues du patrice, deviennent la source d’effroyables désastres. En vain veut-il attacher son nom à l’anéantissement des Vandales d’Afrique, en vain les deux empires d’Occident et d’Orient unissent-ils leurs efforts pour écraser Genséric; Ricimer, généralissime des armées de Rome, saura bien faire échouer l’expédition. Il fallait prouver à l’Occident qu’une entreprise conçue par un Romain, une guerre dont le patrice n’était pas le promoteur, ne pouvait réussir. Ricimer, à l’aide de ses agens, négociateurs ou assassins, se chargea de fournir cette démonstration éclatante; cela coûta seulement une flotte et une armée. La tristesse et l’indignation d’Anthémius, l’impuissance à laquelle il est réduit dans les liens où l’enlace l’exécrable habileté de Ricimer, sa rupture avec son gendre, l’intervention de l’évêque de Pavie, la dernière lutte de l’empereur et du patrice, le triomphe du Barbare, la chute du Romain, la prise et le pillage de Rome, le meurtre d’Anthémius, ce sont là autant de tableaux que M. Amédée Thierry a dessinés d’une main sûre, et qui éclairent d’un jour nouveau l’époque la plus désolée qui fut jamais.

Anthémius, fuyant Rome saccagée, avait été tué par un des sicaires