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est mort, les choses sortent uniquement de cette réaction qui est la clé de l’homme entre sa personnalité et les circonstances extérieures. Il n’est pas besoin de furies pour troubler l’esprit d’Hamlet, sa navrante situation y suffit amplement entre un père dont le sang crie et une mère dont la tendresse est encore maternelle. De Iago et Macbeth à Hamlet, tout a changé de caractère; l’immortel artiste a jeté les palettes qui lui avaient servi, et il en a pris une autre chargée de couleurs différentes. Ce sont les sombres traits du récit Scandinave qui l’ont saisi et qui lui conduisent la main. La Sémiramis de Voltaire a été inspirée par Hamlet, et c’est la même histoire; mais, obéissant à la tradition qui lui venait du XVIIe siècle, l’auteur français a transformé la riche composition de l’auteur anglais en une action où les personnages ne sont que pour le nœud, tandis que dans le drame anglais le nœud n’est que pour les personnages. De là la prédilection de Shakspeare pour les récits du moyen âge, sûr qu’il était de dérouler le peloton qu’ils renfermaient, et de jeter Hamlet avec sa nature rêveuse, méditative, allemande si l’on veut, à travers un long drame. Une fois introduit dans cette lamentable histoire, une tristesse sans bornes s’empare de Shakspeare; tout tourne en douleurs et en larmes. Ainsi apparaît et disparaît Ophélia, cette pâle et mélancolique vision du poète, qui, dans sa miséricorde, ouvre enfin à toutes ces victimes la paix du tombeau.


IV. — DES RACES.

Le mot de race se trouve à chaque instant sous la plume de M. O’Connell et sous la mienne, et pourtant ou a pu s’apercevoir que nous n’y attachons pas le même sens. Aussi faut-il, pour ôter l’ambiguïté, exposer ce que j’entends par là, et, avant de reprendre le fil de l’étude sur Shakspeare, se retourner un moment vers cette question qui joue ici un rôle important. Suivant mon habitude, je soumettrai aussi clairement qu’il me sera possible au lecteur mes opinions sur la classification du genre humain, afin qu’il les juge à son gré.

La notion des races humaines dépend de deux sciences : l’histoire naturelle et la linguistique, qui, sans se contredire, se complètent l’une l’autre. Dans l’état actuel, il est impossible à l’histoire naturelle de pénétrer aussi avant que la linguistique; en effet la langue, étant un produit des facultés mentales, ajoute une caractéristique profonde au résultat de l’examen de la conformation anatomique. À la vérité, on pourra dire que l’organisation cérébrale, d’où dépend le langage, est en relation nécessaire avec l’organisation totale, et que cette relation doit être perceptible; mais cela est un principe abstrait qui n’a pu encore percer dans la réalité, et l’histoire natu-