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caractériser l’Italie des traces d’incapacité essentielle pour certaines grandes choses de l’ordre intellectuel et moral, j’accorde pleinement que Shakspeare a dessiné d’une main aussi sûre que délicate ce redoutable personnage, et j’y vois un Italien du XVIe siècle qui, sentant bien la criminalité de ses actions (Iago ne laisse pas de doute à ce sujet), se met froidement au-dessus et pratique dans la morale privée ce dont Machiavel fit la théorie dans la politique. À la fin du XVe siècle et dans le XVIe les déchiremens de l’unité catholique firent toucher du doigt que la politique et la morale étaient plus indépendantes de la théologie qu’on ne l’avait pensé, et il y eut à ce moment un rude assaut pour la politique et la morale : les Italiens seuls avaient alors des conceptions assez générales pour embrasser en un système cet état de dissolution, et ils l’embrassèrent ; mais leurs tyrans n’étaient pas plus déloyaux que les Ferdinand de Castille, les Louis XI de France, les Richard d’Angleterre.

Je ne suis pas toujours satisfait du procédé que M. O’Connell emploie pour caractériser les races ; cela est sans doute fort difficile, et j’essaierai plus loin, non pas de tracer ces caractéristiques, mais d’indiquer quelques-uns des traits essentiels qu’il importe, suivant moi, de prendre pour guides. En attendant, je dirai qu’à mon avis ce qu’il faut craindre, c’est de prendre le cas particulier pour le cas général. Ainsi est-il vrai de considérer comme un attribut réel du caractère italien l’emploi du poignard pour combattre les tyrans de leur pays et l’arracher aux mains qui l’oppriment ? Je ne crois pas que ce soit l’attribut d’aucune nation ; mais, si ce l’était, ne devrait-il pas être noté expressément dans la caractéristique de la nation française ? Depuis Poltrot de Méré, qui assassine le duc de Guise, jusqu’aux vingt assassinats d’Henri IV, en passant par les Guise, que tue Henri III, et Henri III, que tue Jacques Clément, quelle série de meurtres suscités par le désir de se débarrasser d’hommes politiques qui gênaient ! Puis vient sous Louis XIV et Louis XV (car on peut à peine mentionner Damiens) un repos où les assassinats politiques n’apparaissent plus. La révolution éclatant, ils recommencent ; Lepelletier de Saint-Fargeau, Marat, en sont les victimes ; Napoléon échappe à la machine infernale ; le duc de Berri tombe sous le poignard, et sept tentatives sont faites contre la vie de Louis-Philippe. Il suffit de rapprocher les faits pour montrer que ce sont des passions accidentelles qui soulèvent ces orages. De même, chez les Italiens, le poignard n’est devenu une arme politique que depuis que l’idée d’une libre Italie, s’éveillant dans leurs âmes, a mis aux uns le fusil, aux autres le couteau à la main, pour délivrer leur pays.

Iago, Italien raconté dans un récit italien, a nécessairement toutes les touches intérieures et extérieures qui le font indigène d’un pays,